1919 |
Un article consécutif à la fondation de l'Internationale Communiste; La nécessité de la délimitation politique avec le "centre" social-chauvin. |
Les tâches de la III° Internationale
Ramsay Macdonald et la III° Internationale
Avec la naïveté comique du socialiste « de salon », qui jette les paroles en l'air sans comprendre le moins du monde leur signification sérieuse et sans penser du tout que les paroles engagent à des actes, Ramsay Macdonald déclare : on a fait à Berne « une concession à l'opinion publique non socialiste ».
Précisément ! Nous considérons toute l'Internationale de Berne comme une Internationale jaune de traîtres et de renégats parce que toute sa politique est une « concession » à la bourgeoisie.
Ramsay Macdonald sait parfaitement que nous avons fondé la Ill° Internationale et rompu totalement avec la Il° car nous nous étions convaincus qu'elle était incurable, condamnée, qu'elle était le serviteur de l'impérialisme, l'agent de l'influence bourgeoise, du mensonge bourgeois et de la dépravation bourgeoise dans le mouvement ouvrier. Si Ramsay Macdonald, en voulant parler de la Ill° Internationale, élude le fond de la question, tourne autour du pot, prononce des phrases vides et ne. parle pas de ce dont il faut parler, à lui la faute, à lui le crime. Car le prolétariat a besoin de la vérité, et rien n'est plus nuisible à sa cause que le mensonge de belle apparence et de bon ton du petit bourgeois.
La question de l'impérialisme et de sa liaison avec l'opportunisme dans le mouvement ouvrier, avec la trahison de la cause ouvrière par les chefs ouvriers, est posée depuis longtemps, depuis très longtemps.
Pendant quarante ans, de 1852 à 1892, Marx et Engels ont constamment signalé l'embourgeoisement des couches supérieures de la classe ouvrière d'Angleterre en raison de ses particularités économiques (colonies ; monopole sur le marché mondial, etc [3].) . Vers 1870, Marx s'est acquis la haine honorifique des vils héros de la tendance internationale « bernoise » de l'époque, des opportunistes et des réformistes, pour avoir stigmatisé nombre de leaders des trade‑unions anglaises, vendus à la bourgeoisie ou payés par elle pour services rendus à sa classe à l'intérieur du mouvement ouvrier.
Lors de la guerre des Boers, la presse anglo‑saxonne avait déjà posé en toute clarté la question de l'impérialisme, stade le plus récent (et ultime) du capitalisme. Si ma mémoire ne me trompe pas, c'est bien Ramsay Macdonald lui-même qui quitta alors la « Société des Fabiens », ce prototype de l'Internationale « de Berne », Cette pépinière et ce modèle de l'opportunisme, caractérisé par Engels avec une vigueur, une clarté et une vérité géniales dans sa correspondance avec Sorge [4]. « Impérialisme fabien » ‑ telle était alors l'expression en usage dans la presse socialiste anglaise.
Si Ramsay Macdonald l'a oublié, tant pis pour lui.
« Impérialisme fabien » et « social-impérialisme » sont une seule et même chose : socialisme en paroles, impérialisme dans les faits, transformation de l'opportunisme en impérialisme. Ce phénomène est devenu maintenant, pendant et après la guerre de 1914‑1918, un phénomène universel. Ne pas l'avoir compris est le plus grand aveuglement de l'Internationale jaune « de Berne » et son plus grand crime. L'opportunisme ou le réformisme devait inévitablement se transformer en impérialisme socialiste ou social‑chauvinisme, de portée historique mondiale, car l'impérialisme a promu une poignée de nations avancées richissimes qui pillent le monde entier, et par là même a permis à la bourgeoisie de ces pays d'acheter avec son surprofit de monopole (l'impérialisme, c'est le capitalisme monopoliste) leur aristocratie ouvrière.
Pour ne pas voir que c'est un fait économiquement inéluctable sous l'impérialisme, il faut être ou bien un parfait ignorant, ou bien un hypocrite qui trompe les ouvriers en répétant des lieux communs sur le capitalisme pour dissimuler l'amère vérité du passage d'un courant socialiste tout entier du côté de la bourgeoisie impérialiste.
Or, deux conclusions incontestables en découlent :
Première conclusion : L'Internationale « de Berne » est en réalité, de par son rôle historique et politique véritable, indépendamment de la bonne volonté et des vœux pieux de tel ou tel de ses membres, une organisation d'agents de l'impérialisme international, qui agissent à l'intérieur du mouvement ouvrier, et font pénétrer dans ce mouvement l'influence bourgeoise, les idées bourgeoises, le mensonge bourgeois et la dépravation bourgeoise.
Dans les pays de vieille culture parlementaire démocratique, la bourgeoisie a admirablement appris à agir non seulement par la violence, mais aussi par la tromperie, la corruption, la flatterie, jusqu'aux formes les plus raffinées de ces procédés. Ce n'est pas pour rien que les « déjeuners » des « leaders ouvriers » anglais (c'est‑à‑dire des commis de la bourgeoisie chargés de duper les ouvriers) sont devenus célèbres et qu'Engels en parlait déjà [5]. La réception « exquise» que fit monsieur Clemenceau au social‑traître Merrheim, les réceptions aimables faites par les ministres de l'Entente aux chefs de l'Internationale de Berne, etc., etc., relèvent du même ordre d'idées. « Vous, instruisez‑les, et nous, nous les achèterons », disait une capitaliste anglaise intelligente à monsieur le social‑impérialiste Hyndman, qui relate dans ses mémoires comment cette dame, plus avisée que tous les chefs de l'Internationale « de Berne » réunis, jugeait les « efforts » des intellectuels socialistes pour instruire les leaders socialistes issus de la classe ouvrière.
Pendant la guerre, alors que les Vandervelde, les Branting et toute cette clique de traîtres organisaient des conférences « internationales », les journaux bourgeois français ricanaient fort sarcastiquement et fort àpropos : « Ces Vandervelde ont une sorte de tic. De même que les personnes sujettes aux tics ne peuvent pas prononcer deux phrases sans une contraction bizarre des muscles faciaux, de même les Vandervelde ne peuvent pas faire un discours politique sans répéter comme des perroquets : internationalisme, socialisme, solidarité ouvrière internationale, révolution prolétarienne, etc. Qu'ils répètent les formules sacramentelles qu'ils veulent, pourvu qu'ils nous aident à mener par le bout du nez les ouvriers et nous rendent service, à nous les capitalistes, pour faire la guerre impérialiste et asservir les ouvriers. »
Les bourgeois anglais et français sont parfois très intelligents et ils savent parfaitement apprécier la servilité de l'Internationale « de Berne ».
Martov a écrit quelque part : vous, les bolchéviks, vous vilipendez l'Internationale de Berne, et pourtant « votre » ami Loriot en fait partie.
C'est un argument de canaille. Chacun sait, en effet, que Loriot lutte ouvertement, honnêtement, héroïquement pour la Il° Internationale. Lorsque Zoubatov rassemblait en 1902 à Moscou des ouvriers pour les abrutir avec son « socialisme policier », l'ouvrier Babouchkine, que je connaissais depuis 1894, depuis qu'il faisait partie de mon cercle ouvrier de Pétersbourg, Babouchkine, l'un des meilleurs et des plus dévoués ouvriers « iskristes », l'un des chefs du prolétariat révolutionnaire, fusillé en 1906 par Rennenkampf en Sibérie, Babouchkine se rendait aux assemblées de Zoubatov, pour lutter contre ces manœuvres et arracher les ouvriers à ses griffes. Babouchkine était aussi peu « zoubatoviste » que Loriot est « bernois ».
Notes
[3] Voir lettres : F. Engels à K. Marx du 7 octobre 1858 ; F. Engels à K. Kautsky du 12 septembre 1882 ; F. Engels à F. A. Sorge du 7 décembre 1889, du 21 septembre 1872 et du 4 août 1874, F. Engels à K. Marx du 11 août 1881.
[4] Voir lettre F. Engels à F. A. Sorge du 18 janvier 1893.
[5] Voir lettre F. Engels à F. A. Sorge du 7 décembre 1889.