1920 |
Un livre d'A. Rosmer, successivement syndicaliste révolutionnaire, communiste et trotskyste. |
Moscou sous Lénine
1920
XV : Trotsky prononce le discours-manifeste de cloture
Le congrès sacheva avec la même solennité qui avait marqué ses débuts. La scène était cette fois à Moscou ; pour son ultime séance, le congrès se réunissait au Grand-Théâtre. Les délégués sétaient massés sur la scène. Une longue table la barrait entièrement, derrière laquelle se tenaient Zinoviev et les membres du Comité exécutif. La vaste salle était bondée dune foule joyeuse et attentive : militants du Parti, des syndicats, des soviets. La réunion était enfin pour eux. Au Kremlin, les discussions avaient toujours lieu en allemand, en anglais, en français ; il était temps quon parlât russe. Le discours fut prononcé par Trotsky. Cétait le manifeste du congrès, mais un manifeste dun caractère différent de ce quon entend habituellement par ce terme. Il était divisé en cinq grandes parties. Trotsky décrivait dabord la situation générale du monde, les relations internationales après le traité de Versailles ; un sombre tableau mais tel que les innombrables victimes de la guerre commençaient à le voir. Puis il passait à la situation économique. Appauvrissement et désorganisation générale de la production à laquelle on tente de remédier par un recours à lintervention de lEtat. Mais, en fait, les interventions de lEtat dans léconomie ne font que rivaliser avec lactivité pernicieuse des spéculateurs en aggravant le chaos de léconomie capitaliste à lépoque de son déclin. Dans cette période de déclin, la bourgeoisie a complètement abandonné lidée de se concilier le prolétariat par les réformes. Il nest plus une seule grande question qui soit tranchée par le vote populaire. Toute la machinerie étatique retourne de plus en plus clairement vers sa forme primitive : des détachements dhommes armés. Il faut abattre limpérialisme pour permettre à lhumanité de vivre.
En face de ce régime agonisant, la Russie soviétique, elle, a montré comment lEtat ouvrier est capable de concilier les exigences nationales et les exigences de la vie économique, en dépouillant les premières de leur chauvinisme, en libérant les secondes de limpérialisme.
Sur le fond de ce large exposé, Trotsky résumait alors les débats et expliquait les décisions, concluant par ces mots :
Dans toute son activité, soit comme leader dune grève révolutionnaire, soit comme organisateur de groupes clandestins, soit comme secrétaire de syndicat, député, agitateur, coopérateur, ou combattant sur la barricade, le communiste reste toujours fidèle à lui-même, membre discipliné de son parti, ennemi implacable de la société capitaliste, de son régime économique, de son Etat, de ses mensonges démocratiques, de sa religion et de sa morale. Il est un soldat dévoué de la révolution prolétarienne et lannonciateur infatigable de la société nouvelle. Ouvriers et ouvrières ! Sur cette terre il ny a quun drapeau sous lequel il soit digne de vivre et de mourir, cest le drapeau de lInternationale communiste.
Lhomme, ses paroles, la foule qui lécoutait, tout contribuait à conférer à cette ultime séance du congrès une grandeur émouvante. Le discours avait duré un peu plus dune heure. Trotsky lavait prononcé sans notes ; cétait merveille de voir comment lorateur organisait ce vaste sujet, lanimait par la clarté et la puissance de sa pensée, et dobserver sur les visages lattention passionnée avec laquelle on suivait sa parole. Parijanine - un Français qui vivait depuis une douzaine dannées en Russie - vint à moi ; il était en proie à une vive émotion : Pourvu que ce soit bien traduit ! me dit-il, exprimant ainsi bien plus que le souci dune traduction fidèle : la crainte que quelque chose de cette grandeur ne fût perdu.
Le Comité exécutif se réunit dès le lendemain du congrès. Il devait examiner les conséquences pratiques des décisions et résolutions adoptées, prendre les mesures touchant leur application. Le premier point de son ordre du jour était la désignation du président et du secrétaire. La réélection de Zinoviev à la présidence ne faisait pas question mais il en allait tout autrement pour le secrétariat : la délégation russe demandait lélimination de Radek. La première secrétaire de lInternationale communiste avait été Angelica Balabanov ; Radek lavait remplacée au début de 1920 ; il navait donc occupé ce poste que pendant peu de temps. Cependant sa candidature, quil maintenait, était défendue par quelques délégués, notamment par Serrati. Une discussion sengagea ; elle fut assez brève car elle ne faisait que répéter un débat qui avait eu lieu au Comité exécutif quelques jours avant la réunion du congrès.
Cétait une affaire importante, capitale, car la question qui sétait trouvée inopinément posée était celle-ci : avec qui faire lInternationale communiste ? Avec quels partis ? Quels groupes ? Quelles tendances révolutionnaires ? Qui admettre et qui repousser ? Seuls les partis socialistes qui votaient ladhésion tout en conservant dans leur sein des adversaires de lInternationale communiste ? Ou seuls les nouveaux groupements qui sétaient formés pendant la guerre sur les bases mêmes de ladhésion à la 3e Internationale ? Le Parti communiste russe avait adopté une solution intermédiaire : ses thèses sur ladmission à lInternationale communiste comportant 21 conditions devaient être à la fois une garantie contre les opportunistes, une barrière leur en interdisant lentrée, et elles devaient faciliter la sélection indispensable parmi les membres des vieux partis socialistes.
Or, à la surprise générale, Radek avait évoqué une question quon croyait tranchée et il avait pris nettement position contre la décision du Parti communiste russe : le congrès va se réunir, dit-il, qui peut y participer ? Certainement pas ces nouvelles organisations qui, bien que constituées sur la base de ladhésion à la 3e Internationale, comprennent surtout des syndicalistes et des anarchistes, mais uniquement les délégués des partis, socialistes ou communistes, qui ont seuls qualité pour désigner des délégués. Serrati et Paul Levi aussitôt lappuyèrent ; lopération avait sans doute été préparée ; le Parti socialiste italien et le Parti communiste allemand étaient, en dehors du Parti communiste russe, les deux partis importants de lInternationale. Radek pouvait penser que leur intervention en sa faveur serait décisive. Mais il avait fait un mauvais calcul. Boukharine lui rappela la position prise par le Comité central du Parti communiste russe, le texte des appels lancés par lInternationale communiste aux ouvriers de tous les pays. Avec les opportunistes, dit-il en substance, nous navons rien de commun ; avec les révolutionnaires sincères et éprouvés qui ont voté ladhésion à la 3e Internationale, nous voulons discuter amicalement ; nous avons nous-mêmes fait les révisions de notre programme devenues nécessaires ; nous nous sommes défaits, selon lexpression de Lénine, de notre linge sale social-démocrate pour construire le communisme sur une nouvelle base ; nous voulons poursuivre nos efforts pour amener les syndicalistes et les anarchistes à faire pour leur compte lopération qui leur permettra de nous rejoindre dans les nouveaux partis communistes en formation. Boukharine avait conclu en disant ne pouvoir comprendre pourquoi Radek avait remis en question les décisions prises par le Parti communiste russe et par lInternationale. Que font ici les délégués anglais des Shop Stewards et des Workers Committees ? Que fait Pestaña ? Que fait Rosmer ? Pourquoi les avoir appelés si on était résolu à fermer devant eux les portes du congrès ? Cétait si évident que Radek ne put trouver dautres recrues pour sa manuvre de dernière heure : il resta avec Levi et Serrati. Jai parlé deux ailleurs ; ce que jen ai dit explique leur attitude surtout en ce qui concerne Paul Levi ; il détestait en bloc les anarchistes et les syndicalistes, éléments dune opposition qui ne cessait de le hanter ; les mobiles de Serrati étaient différents ; il trouvait inadmissible que lInternationale accueillît cordialement les groupements syndicalistes et anarchistes alors quelle ne cessait de formuler des exigences diverses à légard dun imposant parti comme le sien.
On en était resté là à cette séance du comité exécutif, mais il y avait, bien entendu, une conclusion à tirer de ce débat, et la conclusion, cétait, selon la délégation russe à lInternationale communiste, lélimination de Radek du secrétariat ; les débats navaient fait que souligner son inévitabilité. Elle ne fut cependant pas adoptée tout de suite. Pour remplacer Radek, la délégation proposait un communiste russe, Kobiétsky. Nous ne le connaissions pas ; John Reed qui ne le connaissait pas davantage, demanda cependant quon ajournât la décision ; il avait reçu, disait-il, des informations quil fallait vérifier ; il y aurait, dans le passé politique de Kobiétsky, des compromissions qui le rendaient indésirable, surtout à un poste de cette importance. Il nétait pas difficile de voir doù John Reed avait reçu ces informations. Radek se cramponnait. Mais Zinoviev fit remarquer que la présentation par la délégation russe était une garantie, et laffaire fut réglée. Après lexpérience de Radek au secrétariat, le choix dun homme moins brillant mais plus sûr simposait.
Une autre décision importante fut prise ce même jour. Sur linitiative de la délégation russe, on demanda à chaque délégation de désigner un représentant qui demeurerait à Moscou, participerait directement aux travaux de lInternationale communiste ; une liaison permanente serait ainsi réalisée, assurant une bonne information réciproque entre lInternationale communiste et ses sections. Pour moi, cette décision était la bienvenue. Je métais mis en route non pour aller à un congrès, mais pour étudier sur place la Révolution bolchéviste et le régime soviétique quelle avait instauré - ce que le congrès ne mavait guère permis de faire ; jen aurais désormais la possibilité. En outre, je désirais vivement suivre le travail du Conseil international provisoire des syndicats rouges ; cétait là où je me sentais le plus à laise et où jétais sûr de faire un travail utile. La tactique défendue énergiquement par Lénine contre les gauches dans la Maladie infantile et approuvée par la majorité du congrès pouvait paraître contradictoire ; on demandait aux communistes, aux ouvriers révolutionnaires, de rester dans les syndicats réformistes, et, dautre part, on sacheminait ouvertement vers une Internationale syndicale rouge. Les leaders réformistes de la Fédération syndicale internationale dAmsterdam ne manquaient pas de le dire ni même de le crier, et avec eux la presse bourgeoise ; nous étions dénoncés comme des scissionnistes.
Mais la contradiction nétait quapparente ; les scissionnistes nétaient pas de notre côté ainsi que les événements ne tardèrent pas à le prouver ; il y eut bien scission mais elle fut provoquée par les chefs réformistes dès linstant où ils sentirent la majorité leur échapper ; à aucun prix ils ne voulaient permettre à la masse des syndiqués de sexprimer, de décider librement et conformément aux règles démocratiques quand ils craignaient de perdre la direction de lorganisation syndicale. Leurs tirades contre toutes les dictatures , pour la démocratie, nétaient que des mots ; en fait ils étaient décidés à garder par tous les moyens les postes quils navaient pu conserver ou acquérir quà la faveur de la guerre. Jai déjà eu loccasion de montrer à quel point Lénine sétait montré inflexible sur la tactique syndicale ; il fallait lutter et rester là où étaient les ouvriers, donc presque partout dans les syndicats réformistes puisque les chefs réformistes avaient réussi à en garder la direction malgré leur attitude pendant la guerre mondiale. Cependant là, comme dans les partis social-démocrates, des minorités plus ou moins nombreuses, mais partout importantes, bataillaient sous le drapeau de la 3e Internationale pour conquérir lorganisation en amenant la majorité des membres à se rallier aux conceptions quelles défendaient ouvertement.
Si notre activité ne se déroula pas toujours comme nous laurions voulu, les responsabilités furent de deux sortes. Il y eut, dune part, au sein des minorités, des impatients et de soi-disant théoriciens qui voulaient avoir sans plus attendre une organisation syndicale à eux ; leur maladresse ou leur erreur ne firent que faciliter le jeu des réformistes qui se réjouissaient de trouver devant eux de tels adversaires ; dautre part, à la direction de lInternationale communiste on ne comprit pas toujours exactement en quoi consistait notre tâche ; on nen saisissait pas limportance ; toute lattention se concentrait sur le développement des jeunes partis communistes. Cependant, si les chefs réformistes dans les syndicats étaient vulnérables, ce nétait quà la condition de porter les coups au bon endroit, car ils étaient plein dastuce et de ruse ; cest de leur côté quétaient le mensonge et la dissimulation ; or, on se bornait le plus souvent à leur décocher des injures, quils avaient sans doute méritées mais qui étaient sans efficacité. À propos dune réunion, à Londres, du Conseil général de lInternationale syndicale dAmsterdam, le Comité exécutif de lInternationale communiste avait décidé de lancer un appel, conjointement avec le Conseil international provisoire, aux ouvriers de tous les pays et aux ouvriers britanniques en particulier. Nous avions été chargés, Zinoviev et moi, de préparer chacun de notre côté un projet qui servirait à établir le texte définitif. Mais nos deux projets étaient si dissemblables de forme et de fond quil ne restait plus quà adopter lun ou lautre. Tandis que je métais attaché à grouper les griefs des ouvriers en un ensemble qui pouvait impressionner et convaincre, rappelant lactivité passée des leaders dAmsterdam, soulignant combien peu cette Fédération était internationale - le chauvinisme y sévissait à tel point que les nations adhérentes restaient classées en alliées et ennemies comme au temps de la guerre - Zinoviev se bornait à lancer une bordée dinjures, parfois dassez mauvais goût, contre Messieurs les leaders jaunes , etc. Il fallait tout ignorer du mouvement ouvrier et des travailleurs britanniques pour simaginer un seul instant quun appel de ce genre pourrait nous gagner des adhérents, ou simplement des sympathies, faciliter la tâche des minorités révolutionnaires. Zinoviev proposa de tenter de fondre les deux textes, mais cétait impossible ; lappel reproduisit exactement sa rédaction et jétais bien fâché de devoir y mettre ma signature.
Mon travail à lInternationale communiste était moins absorbant, bien que jeusse été chargé dy représenter la Belgique et la Suisse qui navaient pu laisser un permanent à Moscou. Je métais lié au cours du congrès avec leurs délégués dont les principaux étaient pour la Belgique, Van Overstraeten, sérieux, capable, un des fondateurs du Parti que la bolchévisation zinoviéviste de lInternationale communiste éloigna du communisme dès 1927 ; pour la Suisse, Humbert-Droz qui trompa la confiance quon avait mise en lui ; pasteur à Londres au début de la guerre mondiale il y avait été persécuté pour son opposition à la guerre ; rentré en Suisse il avait contribué à rassembler les zimmerwaldiens, organisé la propagande en faveur de la 3e Internationale, dirigé une excellente revue ; contre toute attente il approuva, lui, non seulement la bolchévisation , mais le stalinisme tout entier, y compris les procès de Moscou . Cest seulement au cours de la 2e guerre mondiale quil devait se séparer dun parti devenu entièrement différent de celui quil avait contribué à créer.
Comme toutes les institutions soviétiques, syndicales et politiques, la 3e Internationale avait une maison de repos pour ses travailleurs. Cétait un assez vaste domaine - lancienne propriété du grand-duc Serge, gouverneur de Moscou - situé à Ilinskoïé, à vingt verstes de la ville, sur la route de Klin. Le bâtiment principal était imposant par ses dimensions mais banal ; dautres, plus petits, étaient disséminés dans le parc. Les travaux du congrès et les longues discussions avaient épuisé les délégués ; ceux qui restaient à Moscou allèrent se reposer à Ilinskoïé. Jy fis un court séjour qui me permit de faire des constatations intéressantes. Dabord le contraste entre le dehors et le dedans ; les installations intérieures étaient simples même pauvres ; tout avait été pris pour la guerre ; la literie se réduisait à une paillasse étendue sur des planches et le menu était comme dordinaire dune extrême sobriété. Mais quelle atmosphère cordiale et plaisante ! Tout y contribuait ; cétait lété et comme pour économiser la lumière, on avait appliqué une double heure dété , les agréables soirées se prolongeaient. Après le dîner du soir on se rassemblait dans le bâtiment principal ; limagination, la fantaisie, les dons artistiques si communs chez les Russes leur permettaient dimproviser les divertissements les plus ingénieux. Et il y avait par-dessus tout les chants, ces incomparables chants populaires russes qui, venant des villages voisins, sélevaient dans la nuit.
Un matin, je trouvai M. que je navais plus revu depuis mon arrivée en terre soviétique, depuis ce voyage de Iambourg à Petrograd au cours duquel il sétait efforcé de me persuader quil convenait dutiliser la tribune parlementaire pour la propagande communiste. Sa femme vint bientôt nous rejoindre. Seconde de Kollontaï à la section du travail parmi les femmes, elle était donc un personnage important dans la hiérarchie soviétique (personne, bien entendu, ne se serait avisé alors demployer pareil terme ; il a fallu le fascisme de Mussolini pour limplanter et le stalinisme pour le recueillir). Mais elle nétait pas disposée pour autant à trouver que tout était pour le mieux dans la République des soviets ; bien au contraire, elle critiquait beaucoup et sans ménagement : une rouspéteuse qui avait son franc-parler. La chose ne doit étonner quà distance ; on pouvait alors parler librement : nulle gêne, une camaraderie parfaite. Durant mon séjour à Moscou, je revis souvent M. et sa femme ; ils avaient une chambre à lhôtel Métropole, et si tard quon rentrât dans la nuit, revenant dune réunion et parfois du théâtre on apercevait toujours de la lumière à leur fenêtre, et on était assuré de recevoir deux un verre de thé - quoique léger - et parfois un bonbon pour le sucrer, mais toujours une âpre dénonciation des insuffisances du régime : une maison à ne pas fréquenter pour un communiste vacillant, mais ceux dalors étaient bien trempés.
Un coup de téléphone de Trotsky mavisa quil venait de recevoir la traduction française du manifeste du congrès ; cela faisait la matière dune forte brochure quon devait publier simultanément à Petrograd et à Paris. La traduction lui paraissait fidèle ; cependant il aimerait la revoir avec moi. La révision prit plusieurs soirées ; ces jours-là au lieu de retourner travailler à son secrétariat après dîner, il restait au Kremlin. Ce fut pour moi loccasion de reprendre mon interrogatoire, portant maintenant plus précisément sur plusieurs sujets que je voulais approfondir, et naturellement sur le congrès lui-même. Je le questionnai aussi sur les hommes ; jen connaissais très bien quelques-uns mais de beaucoup dautres je ne savais que le nom. De ceux-là il me faisait des biographies que je trouvais toujours flattées quand il métait donné de les vérifier ; il connaissait bien tous ceux avec lesquels il travaillait, au Comité central du Parti et dans les institutions soviétiques. Sil en était plusieurs quil naimait pas et quil jugeait sévèrement ce nétait jamais pour des raisons personnelles mais parce quils étaient inférieurs à leur tâche ou sen acquittaient mal ; il ny avait jamais rien de mesquin dans ses remarques. Navez-vous jamais eu de grave inquiétude sur lissue au cours de la longue guerre civile ? lui demandai-je un jour. Quel moment a été le plus dur ? - Brest-Litovsk, dit-il, tout de suite, répondant dabord à la deuxième question. Le Parti était profondément troublé, agité. Lénine était presque seul au début pour accepter de signer le traité sans discussion. On pouvait craindre une scission, des luttes intestines acharnées qui, dans létat où était alors la Russie soviétique auraient eu des conséquences funestes pour notre Révolution... La guerre civile présenta des dangers dune autre sorte ; quand nous nous trouvâmes pressés simultanément à lEst, à lOuest et au Sud, quand Denikine menaça Toula, il est certain quon ne pouvait sempêcher de se demander avec angoisse si notre armée rouge nallait pas succomber sous ce triple assaut. Pour ma part la confiance ne mabandonna jamais. Jétais, pour apprécier la situation, dans des conditions particulièrement favorables : je savais exactement ce quon pouvait demander à notre armée, et grâce à mes voyages incessants au front et à travers le pays, je savais aussi ce que représentaient les armées de la contre-révolution ; elles étaient mieux équipées que les nôtres : Ioudénitch disposa même de tanks dans son attaque sur Petrograd ; mais je connaissais leur faiblesse fondamentale : derrière elles, les paysans apercevaient les propriétaires des terres dont ils sétaient emparées. Même ceux qui navaient pas trop de sympathie pour nous devenaient alors des alliés sur qui nous pouvions compter.