1961

" A ceux qui crient à « l'Espagne éternelle » devant les milices de la République avec leurs chefs ouvriers élus et leurs titres ronflants, il faut rappeler la Commune de Paris et ses Fédérés, ses officiers-militants élus, ses « Turcos de la Commune », ses « Vengeurs de Flourens », ses « Lascars ». "

P. Broué, E. Témime

La Révolution et la Guerre d’Espagne

I.8 : La liquidation du pouvoir révolutionnaire

Badajoz, Irun, Talavera, Tolède sont les étapes d'une campagne d'été désastreuse pour les révolutionnaires, la condamnation aussi d'une dualité de pouvoir qui porte en grande partie la responsabilité de ces revers militaire. Pour faire la guerre, il faut un pouvoir unique. La dualité entre le pouvoir des Comités et celui de l'État est un obstacle à la conduite de la guerre. Le seul problème, à l'automne de 1936, est de savoir lequel des deux pouvoirs, républicain ou révolutionnaire, l'emportera.

Comités et soviets

En créant, à tous les échelons, des organismes de type « conseils », organes de lutte, puis organismes de pouvoir qu'ils appelaient consejos, comités ou juntas,ouvriers et paysans espagnols avaient, sans le savoir, à leur manière et dans leur style propre, repris la tradition des révolutions ouvrières et paysannes du siècle, celle des « Conseils d'ouvriers de paysans et de soldats », les Soviets des révolutions russes de 1905 et 1917, les Räte de la révolution allemande de 1918-1919 [1].

La traditionnelle division de la classe ouvrière espagnole explique parfaitement que la forme initiale d'organisation du pouvoir révolutionnaire, au lendemain du 19 juillet, ait résulté d'accords entre partis et syndicats. Tels quels, les Comités ont pourtant, nous l'avons vu, représenté dans leurs débuts beaucoup plus que l'addition de représentants d'organisations diverses. Plus que des comités de liaison, ils ont été l'expression de la volonté révolutionnaire de milliers de militants, et cela indépendamment de leur affiliation politique. La meilleure preuve en est l'hostilité ou l'indifférence, à l'égard des consignes de leurs propres partis, de nombreux militants qui s'étaient montrés beaucoup plus dociles, pendant les premières semaines, à l'égard de leurs Comités. Mais une telle situation ne pouvait se prolonger indéfiniment. Pour que les Comités aient pu devenir de véritables soviets, il eût fallu qu'à un moment ou à un autre ils cessent d'être composés de responsables d'organisations –désignés ou élus – pour devenir des organismes élus et révocables dans lesquels jouât démocratiquement la loi de la majorité, non la règle des accords de sommet. Or, cela ne se produit nulle part en Espagne. C'est spontanément que les ouvriers et paysans espagnols ont désigné leurs Comités. Mais c'est avec autant de spontanéité qu'ils les placent sous l'égide des partis et syndicats, qui ne sont pas, quant à eux, décidés à abandonner au profit d'un nouvel organisme l'autorité et la puissance qu'ils ont pu saisir grâce à l'effondrement de l'État.

Aucun parti ni syndicat ne se fait le champion du pouvoir des Comités-gouvernement, ni de leur transformation en soviets. Santillan, parlant du Comité central, écrit : « Il fallait le renforcer, l'appuyer, pour qu'il remplisse mieux encore sa mission, puisque le salut était dans sa force, qui était celle de tous », et confesse son échec : « Dans cette interprétation, nous sommes restés isolés face à nos propres amis et camarades »[2]. André Nin, familier de la révolution russe, affirme que les Comités ne sauraient devenir des soviets, car l'Espagne n'en a pas besoin [3].

Aussi, peu à peu, les Comités cesseront-ils d'être de véritables organismes révolutionnaires, faute de se transformer en expression directe des masses soulevées. Ils redeviennent des « Comités d'entente », dans lesquels l'action des ouvriers et des paysans se fait de moins en moins sentir, au fur et à mesure que l'on s'éloigne des journées révolutionnaires et de l'exercice direct du pouvoir, dans la rue, par les travailleurs en armes, dans lesquels au contraire l'influence des appareils des partis et des syndicats devient prépondérante.

Aussi est-ce en définitive à ces derniers que reviendra la tâche de résoudre le problème du pouvoir, tel qu'il se pose à l'automne 1936, dans le cours de la révolution et pour faire face à la guerre civile. Quelle autorité doit supplanter l'autre ? Qui doit avoir le pouvoir ? Le gouvernement de Front populaire, avec ses fonctionnaires, ses magistrats, sa police, son armée, en un mot un appareil d'État reconstitué ? Ou un gouvernement des Conseils et des Comités, avec ses Comités régionaux et locaux, ses Conseils d'Usine, ses Milices de combat, ses Commissions d'investigation, ses Patrouilles de contrôle, ses Tribunaux révolutionnaires ? Un gouvernement reposant sur le respect de la propriété privée, émanant de l'assemblée élue en février sur le programme libéral du Front populaire ? Ou un gouvernement émanant des Conseils et Comités et se fixant la tâche révolutionnaire de réaliser le socialisme avec ses nuances, « autoritaire » ou « libertaire » ?

Le contexte international

C'est le problème même de la révolution qui se trouve posé. Faut-il ou non la poursuivre ? Faut-il ou non l'arrêter ? Des divergences mineures, au départ, sur de telles questions, deviennent rapidement des oppositions irréductibles. La poursuite, à tout prix, de la révolution, comporte 1e risque de faire perdre la guerre. La volonté d'arrêter la révolution amène tout droit à la combattre et à changer ainsi complètement les données de la guerre civile.

Or il est clair qu'en 1936 le rapport des forces à l'échelle mondiale est loin d'être aussi favorable à la révolution espagnole qu'il l'était en 1917-19 à la révolution russe. L'U.R.S.S. a cessé d'être l'animateur du mouvement révolutionnaire mondial. C'est l'époque où Staline entreprend la liquidation de la vieille garde des bolcheviks, décapite le mouvement communiste international dans la série des procès et des purges. L'Allemagne, où la révolution ouvrière a été une menace pendant plus d'une décennie, voit maintenant son mouvement ouvrier, partis et syndicats, écrasé sous le talon de fer du nazisme. Le régime fasciste de Mussolini n'est pas contesté en Italie. Aucune perspective révolutionnaire proche ne subsiste en Europe orientale. L'Angleterre est parfaitement stable. La France est la seule exception, où vient de prendre fin la grande vague de grèves de juin 1936. Il semble pourtant que le gouvernement de Front populaire du socialiste Léon Blum l'ait définitivement enrayée. Au socialiste révolutionnaire Marceau Pivert qui affirmait en juin 36 que « tout était possible », et qui voit dans l'action de la classe ouvrière espagnole [4] un exemple révolutionnaire à suivre en France, Maurice Thorez, secrétaire général du parti communiste français, a répondu que tout n'était pas possible et qu'il fallait savoir terminer une grève quand ses objectifs étalent atteints. La menace hitlérienne pèse lourdement dans les arguments de ceux qui prêchent la modération : il est clair que ni le parti socialiste S.F.I.O., ni le parti communiste ne consentiront à dépasser les limites du programme de tendance « radical-socialiste » du Front Populaire dont ils constituent l'aile ouvrière. Il est peu vraisemblable par ailleurs qu'ils soient, dans un avenir proche, débordés par leurs troupes. Il n'y a pas, en France, de formations politiques ou syndicales équivalentes à la C.N.T.-F.A.I., au P.O.U.M., dont le rôle est essentiel dans le mouvement espagnol. La classe ouvrière française démontrera de mille façons sa sympathie pour la révolution espagnole. Mais elle ne la connaît qu'à travers le Populaire, l'Humanité, ou Paris-Soir [5], qui lui en donnent des images peu différentes pour l'essentiel. Les amis français de la C.N.T. et du P.O.U.M. ne peuvent opposer aux grands organes du Front populaire ou à la grande presse que la propagande dispersée de journaux épisodiques et de revues confidentielles, émanant d'organisations minuscules, violemment dressées les unes contre les autres. Les révolutionnaires espagnols se sentent seuls.

Il est, certes, possible de discuter à perte de vue sur les possibilités qu'ils avaient de compenser cet isolement par une politique révolutionnaire hardie [6]. On peut, avec Trotsky penser que la révolution espagnole ouvrait la possibilité d'un renversement du rapport des forces à l'échelle mondiale et que sa défaite a précisément ouvert la voie au déchaînement de la deuxième guerre mondiale [7]. Le fait est que le sentiment de leur isolement a été l'un des éléments qui détermina l'attitude des révolutionnaires espagnols dont beaucoup renoncèrent à la poursuite de la révolution. Car l'un des motifs, non le moindre sans doute, de la politique de non-intervention réside dans les craintes des capitalistes anglais et français pour leurs intérêts immédiats en Espagne et, à plus longue portée, dans leurs propres pays [8]. Londres et Paris peuvent envisager de soutenir, avec bien des précautions, une Espagne démocratique et républicaine, mais non une Espagne révolutionnaire. Tout le monde, anarchistes compris, en est parfaitement conscient en Espagne. Raison ou prétexte, l'argument est de poids : il ne faut pas effrayer les éventuels fournisseurs. La politique de l'U.R.S.S. jouera d'ailleurs dans le même sens : l'affaire espagnole, aux yeux de Moscou ne doit, à aucun prix, fournir l'occasion d'isoler l'U.R.S.S. et de la séparer des démocraties occidentale ! Si l'on ajoute que Staline n'a pas la moindre envie de soutenir un mouvement révolutionnaire dont il considère certains des animateurs, anarchistes et communistes dissidents du P.O.U.M., comme ses pires ennemis parce que concurrents éventuels du monopole des P.C. sur la classe ouvrière, on comprend que l'U.R.S.S. n'ait fait aucune difficulté pour adhérer, dès sa formation, au Comité de non-intervention.

Certes, le contexte international n'explique pas tout. Seul pourtant il rend compte de la rapidité avec laquelle le faible parti républicain de la petite bourgeoisie espagnole, laminé en juillet 1936 entre les généraux révoltés et les travailleurs en armes, est parvenu à reconstruire son État. Car c'est le contexte international qui a fourni aux véritables artisans de cette reconstruction de l'État républicain, socialistes, et communistes, et, dans une large mesure, anarchistes, leurs arguments les plus efficaces en faveur de la « respectabilité » de l'Espagne, du respect de la propriété et des formes parlementaires contre la révolution des Comités et des collectivisations.

Les partisans de la restauration de l'État républicain

Les hommes d'État républicains ne semblent pas capables en effet de mener le combat qui devrait être le leur. Ce sont les mêmes, anciens ministres de Casares Quiroga, puis de Martinez Barrio, qui composent le gouvernement Giral. Nous avons vu qu'ils s'efforcent de durer, d'assurer la survivance d'une apparence de légalité. Mais ils sont incapables d'imposer leur autorité, et les troupes révolutionnaires leur échappent complètement [9].

Seuls les dirigeants ouvriers, dans la mesure où ils tolèrent le gouvernement, empêchent sa disparition. Seuls, ils pourraient, par leur prestige, redonner quelque autorité à un gouvernement légal. C'est ce qu'a parfaitement compris Prieto. Il reste fermement persuadé, plus encore après la révolution qu'avant, que l'Espagne a devant elle une longue période de développement capitaliste normal. Les « outrances révolutionnaires » compromettent toujours plus, à ses yeux, l'avenir du pays. La seule tâche réaliste consiste pour lui en la construction d'un régime républicain solide appuyé sur une armée forte : lui seul peut obtenir, contre les généraux et leur alliés, l'aide des « démocraties » de Londres et de Paris. C'est ainsi qu'il écrit dans El Socialista :« Nous espérons que l'appréciation portée sur la révolution espagnole par certaines démocrates changera car ce serait une pitié, une véritable tragédie, de compromettre ces possibilités (d'aide) en accélérant le rythme de la révolution qui, pour le moment, ne nous conduit à aucune solution positive ». Le souci de conserver la sympathie de l'Occident l'amène à se déclarer dans une interview à Havas, le 2 septembre, « enchanté que le gouvernement français ait pris l'initiative de ses propositions pour la non-intervention. »

Véritable ministre sans titre, Prieto est cependant le premier à se rendre compte de la gravité de la situation. Dans une interview à Koltsov, le 26 août, il reconnaît franchement l'impuissance du gouvernement. Comme avant la révolution, il pense que les socialistes doivent participer aux responsabilités gouvernementales. Mais l'état d'esprit des masses est tel qu'il va jusqu'à préconiser, sans hésitation, la formation d'un ministère dirigé par son vieil adversaire Largo Caballero, le seul dont le nom et le prestige pourraient faire naître la confiance populaire indispensable. « Mon opinion sur lui est connue de tous. C'est un imbécile qui veut faire le malin. C'est un désorganisateur et un pagailleur qui fait semblant d'être un bureaucrate méthodique. C'est un homme capable de mener tout et tous à la ruine. Et pourtant, aujourd'hui, c'est le seul homme, ou du moins le seul nom utile pour mettre à la tête d'un nouveau gouvernement. » Précisant qu'il est prêt a entrer dans un tel cabinet, à y travailler sous la direction de Caballero, il affirme: « Il n'y a pas d'autre issue pour le pays. Il n'y en a pas non plus pour moi si je veux être utile au pays » [10]. Toujours lucide et pessimiste, il déclarera, quelques jours plus tard, à Alvarez del Vayo, qu'un gouvernement Largo Caballero serait, pour le régime, la « dernière carte »[11].

Prieto et ses amis ne sont pas les seuls à se faire dans le camp ouvrier, les champions du modérantisme et de la fidélité au régime républicain. Le parti communiste espagnol et sa filiale, le P.S.U.C. – plus libres de leurs mouvements, car ils n'ont pas à compter, comme le parti socialiste, avec une opposition intérieure – ont souvent pris même avant eux, des positions plus nettes encore [12]. Après le 19 juillet, la majorité de leurs militants ont suivi le courant révolutionnaire, participant et soutenant l'action des Comités-gouvernement. Leurs directions, par contre, ont soutenu toutes les tentatives républicaines pour préserver l'État. A Valence, le parti communiste a désapprouvé le Comité exécutif populaire dans son opposition à la Junte déléguée de Martinez Barrio. A Barcelone, c'est Comorera, leader du P.S.U.C. qui a essayé de pousser Companys à résister à la C.N.T., puis il a participé au gouvernement Casanovas, constitué pour éliminer le Comité central, au début d'août. La direction du P.C. ne fait pas mystère d'ailleurs de cette politique. Elle a approuvé la tentative de reconstitution de l'armée par Giral, publié un mémorandum à ce sujet.

La presse communiste internationale n'a pas toujours compris du premier coup cette politique. Le Daily Warker du 22 affirme que l'on « s'achemine vers la République soviétique espagnole », par le triomphe de la « milice rouge ». Cependant, très vite, le tir est rectifié. Le 3 août, l'Humanité, à la demande du P.C. espagnol, précise que le peuple espagnol ne lutte pas pour l'établissement d'une dictature du prolétariat », et qu'il « ne connaît qu'un but : la défense de l'ordre républicain, dans le respect de la propriété ».

Le 8 août, Jesus Hernandez déclare : « Nous ne pouvons parler aujourd'hui de révolution prolétarienne en Espagne, parce que les conditions historiques ne le permettent pas... Nous voulons défendre l'industrie modeste qui est dans la gêne, au même titre et peut-être plus que l'ouvrier lui-même. » Les buts du parti communiste sont clairement fixés par son secrétaire général José Diaz : « Nous ne désirons lutter que pour une république démocratique avec un contenu social étendu. Il ne peut être question actuellement de dictature du prolétariat, ni de socialisme, mais seulement de la lutte de la démocratie contre le fascisme » [13].

Cette attitude, ferme, est pourtant loin d'être, encore, déterminante. Ni le P.C., ni le P.S.U.C. ne sont, en ces mois d'été, capables de peser vraiment sur le cours des événements.

Les socialistes de gauche à la croisée des chemins

Largo Caballero et ses amis ont, sur le problème du pouvoir, les idées moins claires que Prieto et le parti communiste : le programme du groupe socialiste de Madrid, adopté au mois d'avril sous l'influence d'Araquistain, affirme en effet, nous l'avons vu, que l'instauration du socialisme en Espagne ne peut se faire que par la « dictature du prolétariat ». Mais ils sont hostiles à la création de soviets [14], forme d'organisation spécifiquement russe à leurs yeux, et n'expliquent pas plus en juillet ou en août qu'en avril ou en mai comment ils espèrent réaliser la « dictature du prolétariat » par l'intermédiaire d'un parti socialiste dont l'appareil est toujours solidement tenu par Prieto.

La scission formelle a été évitée : elle n'en est pas moins réelle ; par l'U.G.T. et par Claridad,Largo Caballero mène sa propre politique, différente de celle du parti socialiste. Claridad critique rigoureusement les décrets de mobilisation de Giral, leur oppose les thèses de Lénine sur le « peuple en armes », dénonce ceux qui veulent séparer la guerre de la révolution, morigène le Mundo obrero,accuse le P.C. d'accorder abri et protection à des réactionnaires. Cette opposition, cependant, ne va pas très loin : le 23 juillet, Largo Caballero déclare à Carlo Reichmann que la constitution d'un « gouvernement purement socialiste » ne sera à l'ordre du jour qu'après la victoire sur l'insurrection. Dans ses visites quotidiennes aux miliciens du front, dans son activité, à l'U.G.T., il apparaît plutôt comme un allié volontiers critique du gouvernement. Au moment où ses troupes, dans tout le pays, participent à des Comités-gouvernement, il ne semble avoir d'autre ambition que celle de rester le tout-puissant secrétaire général de l'U.G.T.

Mais les défaites du mois d'août modifient profondément cette attitude. A lui aussi, le problème de l'efficacité, celui du pouvoir, semble se poser. Le 27 août, il exposera ses vues à Koltsov. Il n'a pas de mots assez durs pour l' « incurie » du gouvernement Giral, qu'il accuse de n'avoir pas même la volonté de vaincre les rebelles et d'être composé de « gens incapables, stupides et paresseux ». Il affirme : « Toutes les forces populaires sont unies en dehors des cadres du gouvernement, autour des syndicats socialiste et anarchistes... La milice populaire n'obéit pas au gouvernement et, si les choses continuent plus longtemps, elle prendra elle-même le pouvoir ». C'est dans cette perspective qu'il critique, désormais, ce qui a été sa propre carence : « Les partis ouvriers doivent balayer au plus vite les bureaucrates, les fonctionnaires, le système ministériel de travail et passer à de nouvelles formes révolutionnaires de direction. Les masses tendent les mains vers nous, elles exigent de nous une direction gouvernementale, et nous, passivement, nous nous dérobons devant cette responsabilité, et nous ne faisons rien »[15].

Ainsi, à travers les paroles de Largo Caballero au journaliste russe, se dessine une autre conception du pouvoir, opposée à celle de Prieto, celle d'un « gouvernement ouvrier » rompant avec la légalité et les formes républicaines de l'État.

Les anarchistes face au pouvoir

C'est la première fois dans l'histoire que les anarchistes sont en mesure de jouer un rôle aussi important : en fait, au moins en Catalogne, tout dépend d'eux. Mais la confrontation de leurs idées avec la réalité sociale est brutale. Adversaires résolus de l'État qu'ils considèrent comme la forme d'oppression par excellence, les anarchistes ont toujours refusé de faire une distinction entre un État « bourgeois » ou un État « ouvrier » du type de l'État russe né des soviets en 1917. Or, l'effondrement de l'État républicain en juillet a créé un vide que l'action spontanée des militants de la C.N.T. a contribué à combler par la création d'un embryon d'État nouveau, celui des Comitésgouvernement. Les nécessités de la guerre commandent impérieusement : il faut un pouvoir et aucun anarchiste ne préconise sérieusement la Fédération des Communes libres.

Le mouvement anarchiste en Espagne n'en est cependant plus à la première révision de ses principes. La participation massive de ses militants aux élections de février, réaction contre les vaines et sanglantes tentatives d'insurrection « failliste » des années 30, est contraire à ses traditions et à sa doctrine et constitue déjà une importante concession à un nouveau courant réformiste, proche du « trentisme », qui se développe dans ses rangs. Des groupes de la F.A.I. aux syndicats de la C.N.T., d'une région, d'une localité à l'autre, les réactions anarchistes ont varié au cours des journées décisives. A Madrid, la C.N.T. s'est placée à l'avant-garde de la lutte pour la révolution dans les semaines qui ont précédé l'insurrection, tandis que la C.N.T. catalane, contre la menace du pronunciamento, s'alliait en fait au gouvernement Companys. Au lendemain des journées révolutionnaires, les responsables libertaires ont eu de vives discussions : allaient-ils ou non prendre le pouvoir ? Au Comité régional de la C.N.T., c'est la thèse défendue par Garcia Oliver qui l'a emporté, rejetant, pour l'immédiat « le communisme libertaire qui signifie la dictature anarchiste », se ralliant à « la démocratie qui implique la collaboration » [16].

La solution catalane – la constitution du Comité des milices aux côtés de la Généralité – est, par la force des choses, en compromis entre leurs principes et les nécessités de l'heure. Pourtant, nous l'avons vu, le Comité central est vite devenu un deuxième pouvoir. Ce sont des libertaires qui le contrôlent, animent ses principales commissions assument les responsabilités les plus importantes. Il en est de même dans les Comités-gouvernement locaux. Cette réalité semble démentir les affirmations publiques des dirigeants de la C.N.T. Longtemps, on croit à Barcelone que leur hostilité de principe à toute forme d'État ou de pouvoir, fussent-ils révolutionnaires, ne résistera pas à l'élan victorieux qui, les pousse après les journées de juillet. On croit qu'ils n'ont toléré que par prudence la survivance de la Généralité, mais qu'ils travaillent à son « extinction silencieuse ». On répète qu'ils n'attendent que la chute de Saragosse pour liquider le pouvoir républicain en Catalogne et en Aragon.

A Madrid, dans le partage du pouvoir, la C. N. T. s'est attribué une part respectable : elle a sa police, sa « tchéka », ses partisans et surtout ses colonnes, véritable armée indépendante. La collaboration avec les autres partis et syndicats est réduite au minimum. Mais cette situation, non plus, ne peut se prolonger : la survivance du gouvernement, le danger qui pèse sur la capitale posent le problème du pouvoir. La C.N.T. madrilène propose la constitution d'une « Junte nationale de défense » composée de représentants de la C.N.T. et de l'U.G.T., excluant les dirigeants républicains. A l'échelon local et régional, des juntes semblables, « incarnation de l'élan révolutionnaire » constitueraient le lien, l'organismo aglutinante qu'il leur paraît impossible de ne pas établir : en fait, la pyramide des Comités-gouvernement serait couronnée par un pouvoir unique, à leur image. Tout en maintenant leur hostilité aux « formes démocratiques et bourgeoises de gouvernement », les anarchistes semblent prêts à constituer, sous la pression des nécessités de l'heure, un organisme qui serait, même s'il n'en portait pas le nom, un véritable « gouvernement ouvrier. »

C'est en tout cas l'appréciation que porte le P.O.U.M. sur l'évolution de la C.N.T. Pour ce parti, qui se réclame des idées de Lénine sur la dictature du prolétariat, il n'y a pas de place, dans l'Espagne de 1936, pour une république démocratique bourgeoise. Le conflit se place entre le fascisme et le socialisme. Pour lui, il ne s'agit plus de former un gouvernement de Front populaire, mais « un gouvernement ouvrier décidé à mener à son terme la lutte contre le fascisme et à donner le pouvoir à la classe travailleuse, dans ses différents partis et syndicats, et à elle seule ». Dans un meeting à Barcelone, le 6 septembre, Andrès Nin affirme : « La dictature du prolétariat signifie l'exercice du pouvoir par la classe ouvrière. En Catalogne, nous pouvons affirmer que la dictature du prolétariat existe déjà.» Il s'agit donc, à ses yeux, de constituer, pour toute l'Espagne, un « gouvernement ouvrier » à l'image du Comité central et du Comité exécutif populaire. Ce gouvernement devrait avant tout « affirmer son intention de transformer l'élan des masses en légalité révolutionnaire et de le diriger dans le sens de la révolution socialiste ».

Aussi le P.O.U.M. se réjouit-il que l'« instinct révolutionnaire » de la C.N.T. l'ait emporté sur son apolitisme traditionnel et son hostilité de principe à tout gouvernement[17]. Le mot d'ordre des Juntas lui parait répondre aux nécessités du moment, celle de la guerre et celle de la révolution : en le lançant, les anarchistes ont, selon lui, fait un pas vers la conception marxiste du pouvoir. Ainsi, de Largo Caballero à Andrès Nin en passant par la C.N.T., une conception identique semble se dégager : celle d'un gouvernement révolutionnaire des partis et syndicats ouvriers.

La formation du gouvernement Largo Caballero

Or, le 4 septembre, un bref communiqué annonce la démission de Giral et la constitution d'un nouveau gouvernement de Front populaire, présidé par Largo Caballero. Giral a lui-même demandé à Azaña de lui désigner pour successeur le secrétaire général de l'U.G.T. Telle est la version, officielle. Mais une autre version circule de bouche à oreille dans les milieux politiques et syndicaux de Madrid [18].

Il y avait à l'origine l'émotion provoquée par la chute de Badajoz, bastion socialiste, perdue au début de l'insurrection, puis reprise par les milices. Les vues de Caballero telles qu'il les avait exposées à Koltsov, rejoignaient celles de la C.N.T. Sur le mot d'ordre populaire de Junte nationale C.N.T.-U.G.T., des liens se nouent, à Madrid, entre militants des deux centrales. Largo Caballero, plus tard, en dira simplement : « On parlait, dans certains milieux, de prendre les ministères et d'arrêter les ministres. » Selon Rabasseire et Clara Campoamor, une assemblée commune de responsables U.G.T. et C.N.T. aboutit à la création d'un Comité provisoire chargé de réaliser le « coup d'État » et l'installation d'une Junte présidée par Largo Caballero avec des représentants des partis socialistes et communistes, de la F.A.I. et, bien entendu, de la C.N.T. et de l'U.G.T. : les républicains en seraient exclus.

Azaña, prévenu, selon Campoamor, par Alvarez del Vayo, porte-parole du Comité, aurait alors refusé de cautionner ce qui signifiait la fin de la légalité et menacé de démissionner. Ce serait l'intervention de l'ambassadeur de l'U.R.S.S., Marcel Rosenberg, à Madrid depuis le 24 août, qui aurait évité la crise, en retenant le Comité décidé à passer outre à la démission d'Azaña.

Au cours de discussions passionnées avec les membres du Comité provisoire, l'ambassadeur de l'U.R.S.S. aurait fait ressortir les incalculables conséquences sur le plan international d'un geste qui, en entraînant la démission du Président, désarmait les diplomates espagnols, ôtait l'argument de la « légalité » aux amis de l'Espagne républicaine, semblait donner raison à la propagande rebelle en présentant aux yeux du monde un gouvernement de « rouges » que ne couvrirait plus aucune fiction républicaine et parlementaire. Au « gouvernement ouvrier » projeté par les syndicalistes des deux centrales, Rosenberg aurait proposé de substituer un gouvernement de Front populaire, présidé, lui aussi, par Caballero, comprenant des ministres républicains et auquel Azaña ne pourrait que donner sa caution puisque les formes seraient respectées. Les arguments prêtés à Rosenberg sont forts : la conclusion du Pacte de non-intervention a mis le « vieux » au pied du mur : jusqu'au 24 août, il semble qu'il ait compté que l'intransigeance de Berlin allait faire échouer les projets de Paris et permettre à l'Espagne d'échapper au blocus. Mais, après cette date, il n'a de choix qu'entre deux solutions. Il faut, ou bien pousser la révolution jusqu'à ses conséquences ultimes, instaurer le gouvernement ouvrier, dénoncer la « trahison » de la révolution espagnole qu'ont commise, avec la non-intervention, le gouvernement français de Front populaire et le gouvernement de l'U.R.S.S., susciter dans leur pays une agitation susceptible de les déborder, mais courir alors le risque de ne recevoir, avant qu'il ne soit trop tard, aucun secours extérieur – ou bien grouper toutes les « forces politiques » sur un programme commun de guerre, ce qui implique le maintien des formes républicaines et l'arrêt de la révolution, mais ouvre la possibilité d'une aide matérielle de Paris et de Moscou, cette dernière à relativement brève échéance...

Largo Caballero choisit. Le 1° septembre, Claridad écrit que la France, « habilement secondée par l'Angleterre, a été plus efficace que certains ne le supposent. En effet, une guerre internationale ne peut favoriser que le fascisme et ce péril, pour l'instant, a diminué ». Prêt à prendre le pouvoir à la tête d'un gouvernement ouvrier, Caballero accepte l'offre qui lui est faite de tous côtés : il sera le chef d'un gouvernement fort – c'est de cela qu'il s'agit – jouissant de la confiance des masses et susceptible de recevoir des appuis extérieurs, puisqu'il reste dans le cadre de l'État républicain. Ce faisant, il renonce – provisoirement, à ses yeux – à poursuivre dans l'immédiat la révolution pour gagner d'abord la guerre. Il croit que sa personnalité, son prestige et son action, le poids de son organisation, sont les garants que l'arrêt de la lutte révolutionnaire ne pourra en aucun cas marquer le début d'une action contre elle.

Les anarchistes, pourtant, se dérobent. « Les masses écrit Solidaridad obrera, se sentiraient frustrées si nous continuions à cohabiter dans des institutions dont la structure est de type bourgeois. » La C.N.T., selon Antona, ne peut renoncer à son attitude « insurrectionnelle » face à tout « gouvernement ». Elle ne participera donc pas, promettant cependant son soutien, et déléguant, dans chaque département ministériel, un commissaire pour la représenter. Largo Caballero forme, sans elle, le gouvernement de Front populaire que Prieto prône depuis des mois, et qui semble un compromis acceptable avec sa position primitive. Toutes ses exigences d'ailleurs sont satisfaites, dans ce cadre, quoique, selon Koltsov, il ait été « extrêmement pénible à tout le monde de consentir à lui confier la direction du gouvernement » [19].

Ainsi qu'il l'a exigé, Largo Caballero cumule la présidence et les fonctions de ministre de la Guerre. Deux de ses amis de l'U.G.T. détiennent les postes-clés, Galarza l'Intérieur, Alvarez del Vayo les Affaires étrangères. Prieto est ministre de la Marine et de l'Air, ses amis socialistes Juan Negrin et de Gracia sont respectivement ministres des Finances et du Travail. Les communistes, après avoir refusé leur participation, cèdent à Caballero qui l'exige : Uribe est à l'Agriculture, et Hernandez à l'Instruction publique. Cinq républicains complètent le gouvernement. José Giral est ministre sans portefeuille, preuve, déclare-t-il, « que le nouveau gouvernement est un élargissement de l'ancien ». Le nouveau président le déclare, en tout cas, « formé d'hommes qui ont renoncé à la défense de leurs principes et de leurs tendances particulières pour s'unir autour d'une aspiration unique : la défense de l'Espagne contre le fascisme ».

La participation de l'U.G.T., le soutien de la C.N.T. doivent normalement lui donner l'autorité que n'avait pas Giral. Mais son programme est le même, l'« union des forces qui luttent pour la légalité républicaine », « le maintien de la république démocratique ». Destiné à liquider la dualité de pouvoir, il la reflète : sa direction socialiste est une concession aux ouvriers, son programme un gage de « respectabilité » pour les puissances.

Son refus de collaborer ne semble pas, au premier abord, devoir affaiblir la C.N.T., car les représentants des pouvoirs révolutionnaires régionaux s'inclinent. A Valence, le 8 septembre, à un meeting organisé par l'U.G.T., le parti socialiste et le parti communiste, c'est Juan Lopez, dirigeant éminent de la C.N.T., qui apporte l'adhésion et le soutien du Comité exécutif populaire au nouveau gouvernement et à son programme.

La dissolution du comité central des milices

Le 26 septembre, à leur tour, les révolutionnaires catalans s'inclinent. Le président Companys réussit l'opération qu'il avait tentée en vain avec Casanovas au début août : la formation d'un gouvernement de la Genéralité dans lequel figurent des représentants de tous les partis ouvriers et syndicats. C'est le républicain Tarradellas qui le préside. L'Esquerra reçoit les portefeuilles des Finances, de l'Interieur, de la Culture, les Rabassaires de l'Agriculture, le P.S.U.C. du Travail et des Services publics. Les dirigeants révolutionnaires ont, eux aussi, des postes importants : l'Economie le Ravitaillement, la Santé vont à des anarchistes – de second plan, il est vrai –, la Justice à Andrès Nin.

Commentant l'événement, quelques années plus tard, le modéré Ossorio y Gallardo écrira : « Companys, qui avait reconnu le droit des ouvriers à gouverner et leur avait même offert d'abandonner son poste, a manipulé les choses avec une telle habileté qu'il est arrivé, petit à petit, à reconstituer les organes légitimes du Pouvoir, transférer l'action aux Conseillers, réduire les organismes ouvriers à leur rôle d'auxiliaires, d'aides, d'exécutants... La situation normale était rétablie »[20]. De son côté, vers la même époque, Santillan écrivait : « Après plusieurs mois de lutte et d'incidents sans issue avec le gouvernement central, réfléchissant sur le pour et le contre d'une indépendance dela Catalogne, intéressés, plus que jamais, à la victoire dans cette guerre que nous avions entamée avec tant d'ardeur et tant de foi, à nous dire et nous répéter qu'on ne nous aiderait pas tant que serait si manifeste le pouvoir du Comité des milices, organe de la révolution du peuple… n'ayant pas d'autre dilemme que de céder ou d'aggraver les conditions de la lutte... nous dûmes céder. Nous nous décidâmes donc à dissoudre le Comité des milices. » Et il conclut : « Tout pour obtenir l'armement et l'aide financière, pour continuer avec succès notre guerre » [21].

La formation du nouveau Conseil de la Généralité implique eu effet l'abandon des organismes de pouvoir révolutionnaire. Le Comité central est annexé au département la Guerre que dirige le colonel Diaz Sandino. Le Conseil de l'économie, la Commission d'investigation sont rattachés et subordonnés aux correspondants. Les anarchistes justifient leur « cohabitation dans des institutions de type bourgeois » par des arguments divers. Ils soulignent le terme de « Conseil » employé, sur leurs instances, pour le nouveau gouvernement. A leurs yeux, la présence de représentants de la C.N.T. est une garantie, une légalisation des conquêtes révolutionnaires.

Solidaridad obrera écrit, le 27 : « Il n'était plus possible pour le bien de la révolution et pour l'avenir de la classe ouvrière que persistât la dualité de pouvoirs. Il était nécessaire que, d'une manière simple, l'organisation qui contrôle l'immense majorité travailleuse s'élevât au plan des décisions administratives et exécutives. » Et la révolution prolétarienne, peu suspecte pourtant de sympathie pour le courant « réformiste » de la C.N.T., conclut son analyse de l'événement sous la plume d'Antoine Richard en affirmant : « Cette pénétration des organismes anciens par les organismes nouveaux nés dans la lutte et créés pour la Révolution marque un pas sérieux vers la conquête du pouvoir ». [22]

Le P.O.U.M. avait posé, comme conditions à sa participation, une « déclaration ministérielle d'orientation socialiste » et « l'intervention active et directe de la C.N.T. » Il accepte donc la nouvelle combinaison gouvernementale en déclarant: « Nous vivons dans une étape de transition dans laquelle la force des fait nous a obligés à la collaboration directe dans le Conseil Généralité, avec les autre fractions ouvrières. » L'insuffisance du programme mis en avant, l'importance de la participation des républicains, qu'il souligne, ne l'empêchent pas de conclure que la Catalogne possède un « pouvoir nettement prolétarien ». Et, en contradiction avec sa politique du jour, il lance un nouvel appel : « De la formation des Comités d'ouvriers, de paysans et de soldat, pour lesquels nous ne cessons de lutter, sortira la représentation directe du nouveau pouvoir prolétarien. »

Cet optimisme va être rapidement démenti par les faits. La formation du Conseil de la Généralité, avec le soutien de la C.N.T. et du P.O.U.M., est en réalité l'arrêt de mort du pouvoir des Comités. Le 1° octobre, le Comité central des milices se dissout et adhère, par un manifeste, à la politique du nouveau gouvernement. Le 9, un décret pris en Conseil, avec l'approbation de Nin et des ministres de la C.N.T., dissout, dans toute la Catalogne « les comités locaux, quels qu'en soient le nom ou le titre, et tous les organismes qui ont pu être constitués pour abattre le mouvement subversif ». Le président du Conseil Tarradellas commente le décret, annonce le remplacement des Comités dans leurs « fonctions gouvernementales » par des conseils municipaux composés suivant les mêmes proportions que le Conseil de la Généralité... L'ensemble des organisations ouvrières approuve la dissolution : l'organe du P.O.U.M. en français va jusqu'à écrire : « Ces Comités révolutionnaires, Comités exécutifs populaires ou Comités de salut public, représentaient seulement une partie des organisations ouvrières, ou bien les représentaient suivant une fausse proportion... On peut évidemment regretter la suppression de leur initiative révolutionnaire, mais on doit reconnaître la nécessité de codifier... les diverses organisations municipales et ce, dans le but, autant de les remplacer uniformément que de les mettre sous l'autorité du nouveau Conseil de la Généralité » [23].

Le 17 septembre, Andrès Nin accompagne à Lérida le président Companys en tournée : il unit ses efforts aux siens pour convaincre ses amis du Comité révolutionnaire qu'il faut se plier à la nouvelle organisation du pouvoir en entrant dans un Conseil municipal où ils seraient en minorité, et où entreraient en force les républicains jusque-là tenus à l'écart...

L'entrée de l'Aragon dans l'ordre républicain

Dans ces conditions, la situation des animateurs du Conseil de défense d'Aragon devient difficile. Attaqué violemment par les communistes et les socialistes, qualifié d'« organisme illégal » par le P.S.U.C., non reconnu par les autorités républicaines de Madrid et de Barcelone, le Conseil ne peut se maintenir seul sur la position de pouvoir révolutionnaire indépendant. A l'intérieur même de la C.N.T., son président, Joaquin Ascaso, est l'objet de vives attaques de la part de certains responsables : Mariano Vazquez, secrétaire du Comité national, l'accuse d' « infantilisme révolutionnaire » et de « donquichottisme ». Il est contraint de reculer : dans les derniers jours d'octobre, la C.N.T. propose l'élargissement du Conseil aux partis du Front populaire. Le 31 octobre, une délégation, conduite par Ascaso, se rend auprès de Caballero. Elle souligne, selon le compte rendu donné par la presse de la C.N.T., les circonstances exceptionnelles de la naissance du Conseil, dans une situation chaotique créée par l'inexistence des pouvoirs publics et l'occupation du territoire par les colonnes des milices catalanes. Elle confirme l'accord qui vient d'être donné par les syndicats et partis du Front populaire à une réorganisation du Conseil, ouvert désormais aux représentants de toutes les organisations, proportionnellement à leurs effectifs. Caballero, de son côté, reconnaît au Conseil d'Aragon les attributions du gouverneur civil et des députations provinciales, lui délègue, eu égard au caractère exceptionnel de la situation, des pouvoirs gouvernementaux en matière de maintien de l'ordre, de reconstruction économique, d'organisation de l'effort militaire. Il est entendu entre les deux parties qu'un plébiscite fixera, dans l'avenir, la nature du régime aragonais. Joaquin Ascaso, quittant la Présidence, déclare :

« L'objet de notre visite a été de présenter nos respects au chef du gouvernement et de l'assurer de notre attachement au gouvernement du peuple. Nous sommes prêts à accepter toutes les lois qu'il promulguera, et, de notre côté, nous demanderons au ministre toute l'aide dont nous avons besoin »[24]. Le Conseil de la Généralité peut alors décerner au Conseil d'Aragon un certificat de respectabilité : « Les entretiens avec le président Azaña, avec le président Companys, avec Largo Caballero », déclare-t-il, « ont détruit tous les soupçons qui avaient pu naître, portant à croire que le gouvernement constitué (en Aragon) avait un caractère extrémiste. »

Ainsi se trouve levé le dernier obstacle sérieux à la concentration des pouvoirs : tous les autres organismes régionaux se soumettent sans difficulté. Les Basques, d'abord décidés à constituer leur gouvernement sans attendre le vote du statut d'autonomie par les Cortes, consentent à prendre leur place dans le nouveau cadre légal. Alors le vote du Statut basque, le 1° octobre José Antonio de Aguirre est élu, le 7, président d'Euzkadi et prête serment sous l'arbre de Guernica. Manuel de Irujo entre dans le gouvernement Largo Caballero, dont le programme ne contredit en rien celui du gouvernement qu'inspirent les nationalistes basques[25].

L'entrée des anarchistes dans le gouvernement central

Il reste, cependant, à régler le problème du gouvernement central. Va-t-on constituer une Junte nationale de défense, comme les journaux de la C.N.T. continuent à le réclamer ? Les républicains et les socialistes y sont résolument opposés. La C.N.T. doit-elle entrer dans le gouvernement Caballero ? L'U.G.T., le parti socialiste, le parti communiste le demandent : la C.N.T., en fait, comme eux, exerce une partie du pouvoir sans en assumer les responsabilités. Mais les nouveaux revers militaires, la menace sur Madrid, hâtent les événements. Au cours d'un meeting du Front populaire, à Valence, le 20 octobre, le dirigeant des dockers C.N.T., Domingo Torres, se déclare d'accord pour la participation des anarchistes à un organisme de direction de la lutte même s'il s'intitule « gouvernement », car l'essentiel est d'abord de gagner la guerre. Le 22 octobre, Solidaridad obrera lève un coin du voile qui recouvre les négociations en affirmant qu'il « manque au gouvernement que préside Largo Caballero le concours des forces prolétariennes » de la C.N.T. et en dénonçant les groupes qui « refusent la participation de forces syndicales qui exigent simplement leurs droits dans la proportion qui leur est due ». Selon Caballero, les anarchistes demandent six portefeuilles, alors qu'il ne leur en offre que quatre. Il n'est pas question de programme : le 30 octobre, Caballero affirme dans une interview au Daily Express :« D'abord, gagner la guerre, et après nous pourrons parler de révolution ». Le 23 du même mois, Juan Peiro, dans un discours à Radio C.N.T.-F.A.I., avait précisé la nouvelle position anarchiste, en tous points identique : « Ceux qui parlent, dès aujourd'hui, d'implanter des systèmes économiques et sociaux achevés sont des amis qui oublient que le système capitaliste a... des ramifications internationales et que notre triomphe dans la guerre dépend beaucoup de la chaleur, de la sympathie, de l'appui qui nous viendra de l'extérieur... » La discussion sur le nombre des portefeuilles perd toute signification ; le 4 novembre, Largo Caballero remanie son ministère pour y faire entrer quatre représentants de la C.N.T., Garcia Oliver, qui devient ministre de la Justice, Federica Montseny, de la Santé, Juan Lopez, du Commerce, Juan Peiro, de l'Industrie. C'est à Santillan, adversaire de la collaboration, qu'allait revenir la tâche de justifier cette entrée du point de vue de la théorie (13 septembre) :

« L'entrée de la C.N.T. au gouvernement central est un des faits les plus importants qu'ait enregistré l'histoire de notre pays. La C.N.T. a toujours été, par principe et par conviction, anti-étatiste et ennemie de toute forme de gouvernement... Mais les circonstances... ont changé la nature du gouvernement et de l'État espagnols... Le gouvernement a cessé d'être une force d'oppression contre la classe ouvrière de même que l'État n'est plus l'organisme qui divise la société en classes. Tous deux cesseront encore plus d'opprimer le peuple avec l'intervention de la C.N.T. dans leurs organes ». Ainsi, à l'épreuve de la lutte pour le pouvoir, les dirigeants anarchistes retrouvent-ils le langage des sociaux-démocrates les plus réformistes... Pour se justifier, plus tard, aux yeux de ses amis, Garcia Oliver, l'un des « Trois Mousquetaires », ancien forçat devenu ministre de la Justice, écrira : « La bourgeoisie internationale refusait de nous fournir les armes dont nous avions besoin... Nous devions donner l'impression que les maîtres étaient non les Comités révolutionnaires, mais le gouvernement légal : faute de quoi nous n'aurions rien du tout. Nous avons dû nous plier aux inexorables circonstances du moment, c'est-à-dire accepter la collaboration gouvernementale.» Et Santillan, le premier à justifier cette politique en 1936, sera aussi le premier, en 1940, à en faire, après la défaite, l'amère critique : « Nous savions qu'il n'était pas possible de triompher dans la révolution si on ne triomphait pas, avant, dans la guerre. Nous avons sacrifié la révolution elle-même sans comprendre que ce sacrifice impliquait aussi le sacrifice des objectifs de la guerre » [26].

Un facteur poltique : l'aide russe

Du gouvernement ouvrier projeté à la fin d'août au gouvernement de Front populaire réalisé début novembre avec la participation des anarchistes, le cheminement a été rapide. C'est en grande partie parce que les dirigeants socialistes de gauche, comme ceux de la C.N.T., ont en vue, lorsqu'ils parlent de l'aide étrangère, une autre aide que celle – problématique – des pays occidentaux. Le grand événement du mois de septembre, qui coïncide avec la formation du gouvernement Caballero et rend vraisemblable le rôle prêté dans la « crise » à Rosenberg, est la décision de l'U.R.S.S. de fournir à la République espagnole une aide matérielle.

C'est en effet au début de septembre qu'ont été prises à Moscou les dispositions techniques en vue de la réalisation de ce soutien. Les premiers officiers russes sont sur place, en même temps que Rosenberg. Les premiers avions arriveront en octobre. C'est l'aide russe qui va sauver Madrid en permettant l'équipement en armes modernes et en munitions des milices et de la jeune « armée populaire » mise sur pied par le gouvernement de Largo Caballero. C'est elle aussi qui, désormais, dans une large mesure, conditionne la politique du gouvernement et des partis du Front populaire, sur la base des conseils ou des exigences dictées aussi bien par les représentants officiels de l'U.R.S.S., Rosenberg et le consul général à Barcelone, Antonov-Ovseenko, que par ses porte-parole officieux, délégués du Komintern, ou dirigeants du parti communiste ou du P.S.U.C., qui en tirent popularité et autorité. Une nouvelle période commence sous le drapeau de l' « antifascisme ».

Notes

[1] Voir sur ces sujets, outre les classiques, des ouvrages récents. Sur la Russie : Oskar Anweiler, Die Rätebewegung in Russland (1905-1921), Leiden, 1958. Sur l'Allemagne : W. Tormin, Die Geschichte der Rätebewegung in der deutschen Revolution (1918-19), Dusseldorf, 1954.

[2] Op. cit. p. 70.

[3] Il déclare : « En Russie, il n'y avait pas de tradition démocratique, pas de tradition d'organisation et de lutte, dans le prolétariat. Nous avons des syndicats, des partis, des publications, un système de démocratie ouvrière. On comprend l'importance qu'eurent les soviets. Le prolétariat n'avait pas ses organismes propres. Les soviets furent une création spontanée qui, en 1905 et en 1917, prirent un caractère totalement politique. Notre prolétariat avait déjà ses syndicats, les partis, les organisations propres. C'est pour cela que les soviets n'ont pas surgi parmi nous. »

[4] Voir à ce sujet ses articles « Révolution en Espagne ! Et en France ? » (24 juillet), et « Fascisme, guerre… ou révolution » (14 août), dans le Populaire.La direction de la S.F.I.O., sous la plume de Séverac, avait, par contre, le 13 août, nié l'existence d'une guerre de classes en Espagne : « Les nombreuses survivances des privilèges d'ancien régime n'ont pas encore permis au monde du travail de prendre pleinement conscience de ses intérêts et de sa mission ». L'accord, sur ce point, est total avec le P.C.F.

[5] Jean-Richard Bloch est le seul journaliste communiste qui parle du Comité central en le présentant tel qu'il est et non comme un vague organisme de liaison. Le 6 août, l'Humanité met en relief les déclarations de Giral : « Les communistes sont des hommes d'ordre ». Le 16 Gabriel Péri commentant l'entrée du P.S.U.C. au gouvernement – opération dirigée, nous l'avons vu, contre le Comité central – écrit : « La direction de la C.N.T. s'en est offusquée sans raison valable ». Le lecteur de l'Humanité chercherait en vain une seule des « raisons » invoquées.

[6] Cf. Trotsky, (op. cit. p. 69) : « Les révolutions n'ont nullement vaincu jusqu'à présent grâce à des protections étrangères leur fournissant des armes. Les protecteurs étrangers se sont ordinairement trouvés du côté de la contre-révolution. Est-il nécessaire de rappeler les interventions française, anglaise et américaine contre les Soviets ? Les révolutions sont avant tout victorieuses à l'aide d'un programme social qui donne aux masses la possibilité de s'emparer des armes qui se trouvent sur leur territoire et de désagréger l'armée ennemie. »

[7] « La dictature de Franco signifierait l'accélération inévitable de la guerre européenne... La victoire des ouvriers et paysans espagnols ébranlerait sans aucun doute les régimes de Mussolini et Hitler. » (Trotsky dans The Case of Leon Trotsky,p. 303.) Certaines déclarations de dirigeants de la C.N.T. rendent un écho semblable. Durruti, notamment, déclare : « Nous sommes en train de donner à Hitler et Mussolini beaucoup plus de tracas avec notre révolution que toute l'Armée rouge de Russie. Nous donnons un exemple à la classe ouvrière allemande et italienne de la manière dont il faut combattre le fascisme. Je n'attends aucune aide pour une révolution libertaire d'aucun gouvernement dans le monde. Peut-être des conflits d'intérêts entre impérialismes peuvent-ils avoir quelque influence sur notre lutte… Mais nous n'attendons aucune aide. » (Cité par Morrow, op. cit. p. 189.)

[8] L'un des plus lucides et des plus conscients des hommes politiques anglais, Winston Churchill, exprime clairement ces inquiétudes dans son Journal politique : « Une Espagne fasciste ressuscitée, en complète sympathie avec l'Italie et l'Allemagne, est une sorte de désastre. Une Espagne communiste qui déploierait à travers le Portugal et la France ses perfides tentacules, en est une autre et que beaucoup considéreront comme pire »… « Tout ce qui se passe en ce moment augmente le pouvoir des forces mauvaises qui menacent à leurs deux extrêmes, l'existence même de la démocratie parlementaire et de la liberté individuelle en Grande-Bretagne et en France » 10 août (p. 61). Constatant que « la Russie soviétique s'écarte résolument du communisme », ce qui ouvre la perspective de lui voir prendre « plus de contact avec l'occident » (p. 58), il voit en Espagne la présence des trotskystes « sous la forme du P.O.U.M., secte qui réalise la quintessence de la fétidité » (p. 67). En avril 37 encore, il dépeint sous de sombres couleurs ce que serait un « succès des trotskystes et des anarchistes » (p. 114), soulignant d'autre part que la victoire de Franco ne pourrait aucunement porter atteinte aux intérêts français et britanniques, et qu'elle assurerait son indépendance à l'égard de Rome et de Berlin.

Irujo (Lizarra, op. cit p. 68-59) a souligné que la constitution des juntes de défense en Pays basque, dont nous avons noté le caractère conservateur, résultait des « demandes impérieuses » d'ambassadeurs et diplomates, et notamment de l'ambassadeur de France Herbette.

[9] Cf. Azaña : « L'œuvre révolutionnaire a commencé sous un gouvernement... qui ne voulait ni ne pouvait la cautionner », et, plus loin : « Un gouvernement qui abhorre et condamne les événements mais ne peut ni les empêcher, ni les réprimer » (La velada en Benicarlo, p. 96). Casares Quiroga, en « mono » et en sandales, est parti pour le front, où bien des journalistes le rencontreront. Simple milicien, « il s'efforce de racheter ses péchés », nous dit Koltsov (op. cit. p. 59).

[10] Koltsov, op. cit. p. 74. Rien ne permet de contester l'exactitude du reportage de Koltsov, vérifié par l'attitude ultérieure de Prieto.

[11] Alvarez del Vayo, La guerra empezo en España,p. 218.

[12] Depuis un an déjà, les orateurs communistes manifestaient une telle modération que, lors de la campagne électorale de février, les socialistes, pour les ridiculiser, avaient lancé le faux mot d'ordre : « Pour sauver l'Espagne du marxisme, votez communiste. »

[13] Au sein de la classe ouvrière, ils sont, en tout cas, nettement sur la défensive par rapport aux militants de la C.N.T. et du P.O.U.M. Ils quittent le gouvernement Casanovas parce que la C.N.T. proteste. Pour ces partis qui, en toute occasion, se réfèrent dans leur propagande à l'U.R.S.S., l'adhésion de Moscou au pacte de non-intervention est un obstacle de taille.

[14] Voir chapitre III.

[15] Koltsov, op. cit. pp. 76-77.

[16] Cité par Peirats, op. cit. T. I, p. 161. Voir aussi Souchy, Nacht aber Spanien,pp. 95-96, et Bolloten, The grand Camouflage,pp. 152 sq.

[17] L'influence du P.O.U.M. n'est d'ailleurs pas à exclure, en tant que facteur des prises de position de la C.N.T. Enrique Rodriguez, un des représentants du P.O.U.M. à Madrid, sera appelé, en septembre, à défendre dans C.N.T. les vues de son parti sur le pouvoir. Or ces vues semblent coïncider avec celles de l'organisation madrilène de la C.N.T.

[18] Rabasseire (op. cit. p. 98) s'en fait l'écho. Clara Campoamor la détaille dans son ouvrage (p. 148-145), Koltsov (p. 85-86) fait un récit, conforme à la thèse officielle, mais ne tente même pas de l'harmoniser avec les déclarations antérieures de Caballero et Prieto. Selon lui, c'est Caballero qui se porte candidat auprès d'Azaña et Prieto est hostile à sa désignation. Une seule affirmation vraisemblable dans ce récit : c'est Alvarez del Vayo qui pousse Largo Caballero aux concessions.

[19] Koltsov, ibid, p. 86.

[20] Vida y sacrificio de LIuys Companys,p. 172.

[21] Santillan, op. cit. pp. 115-118

[22] La Révolution prolétarienne, 10 oct. 1936.

[23] La Révolution espagnole, 14 oct. 36. Il est bon de préciser que les initiatives de Nin ne lui incombaient pas personnellement, mais reflétaient la « ligne » de la direction du P.O.U.M.

[24] Peirats, op. cit. T. I, p. 229.

[25] Le premier gouvernement comprend, outre les nationalistes basques, des républicains, des socialistes et un communiste, Juan Astigarrabia. Aucune critique ne s'élève à ce moment contre ce dernier dans les rangs du P.C. alors que José Diaz l'accusera plus tard (16 nov. 37) d'avoir été « prisonnier du gouvernement dirigé par les nationalistes basques, représentants des grands industriels, des grands capitalistes, des banques ». Le programme gouvernemental insiste sur la liberté de culte et le respect de l'ordre et de la propriété. Dans le domaine social, il promet que « le travailleur aura accès au capital, par la voie de la coadministration des entreprises. »

[26] Santillan, op. cit. p. 116.

Notons, exprimée de deux points de vue opposés, une concordance dans l'appréciation de l'attitude des socialistes révolutionnaires à Madrid et des anarchistes à Barcelone refusant de prendre le pouvoir. Pour Trotsky : « Renoncer à la conquête du pouvoir, c'est le laisser volontairement à celui qui l'a, aux exploiteurs. Le fond de toute révolution a consisté et consiste à porter une nouvelle classe au pouvoir et à lui donner ainsi toute possibilité de réaliser son programme »... « Le refus de conquérir le pouvoir rejette inévitablement toute organisation ouvrière dans le marais réformiste et en fait le jouet de la bourgeoisie. » (Leçons d'Espagne, p. 66.) Azaña, de son côté, écrit : « En contrecoup de la rébellion militaire... se produisit un soulèvement prolétarien qui ne se dirigea pas contre le gouvernement... Une révolution doit s'emparer du commandement, s'installer au gouvernement, diriger le pays selon ses vues. Or, ils ne l'ont pas fait... L'ordre ancien aurait pu être remplacé par un autre, révolutionnaire. Il ne le fut pas. Il n'y avait plus qu'impuissance et désordre... » (La velada en Benicarlo,p. 96.)