1961

" A ceux qui crient à « l'Espagne éternelle » devant les milices de la République avec leurs chefs ouvriers élus et leurs titres ronflants, il faut rappeler la Commune de Paris et ses Fédérés, ses officiers-militants élus, ses « Turcos de la Commune », ses « Vengeurs de Flourens », ses « Lascars ». "

P. Broué, E. Témime

La Révolution et la Guerre d’Espagne

I.9 : Le gouvernement Caballero et la restauration de l'État

Il est remarquable que Largo Caballero, si vivement critiqué dans son propre parti, ait pu, en quelques semaines, devenir l'homme providentiel, la « dernière carte » selon l'expression de Prieto lui-même [1]. La défection des Jeunesses socialistes a porté à sa position personnelle un coup assez rude et ce sont, en définitive, l'impuissance et le discrédit des républicains, le refus ou l'incapacité des anarchistes de prendre le pouvoir qui en font le « sauveur suprême ». Il est mal vu de la plupart des dirigeants des partis, mais sa popularité de vieux lutteur en fait le seul dirigeant capable de servir de trait d'union entre modérés et révolutionnaires, de rallier les travailleurs à un gouvernement régulier, imposant son autorité aux partis, aux syndicats, aux comités.

Il réalisera effectivement ce que Giral et Prieto n'avaient pu faire avant lui : en rajeunissant les institutions de l'État par la légalisation de certaines conquêtes révolutionnaires, l'incorporation des organismes et des hommes du pouvoir révolutionnaire, il parvient à les sauver et à réaliser cette gageure : la reprise en mains par l'État républicain de tous les groupes armés, la création d'une Armée et d'une Police, en un mot l'instauration d'un pouvoir unique et fort sous l'égide de la République et qui sera pourtant, aux yeux de la majorité des ouvriers révolutionnaires, leur pouvoir, le « pouvoir populaire ». Son tour de force consiste à avoir liquidé le « deuxième pouvoir » en donnant l'impression qu'il consacrait sa victoire : la présence à ses côtés de Garcia Oliver et de Juan Lopez, qui avaient incarné le pouvoir révolutionnaire en Catalogne et au Levante, semble garantir le caractère révolutionnaire de ses intentions. Il ne détruit pas les autorités régionales, mais semble vouloir les unir en les « fédérant ». Les Basques et les Asturiens gardent la responsabilité de leur front, la C.N.T. celle du front d'Aragon et de Teruel ; la Junte de Madrid aura bientôt celle du front du Centre. Mais la responsabilité de l'organisation militaire passe à une « Junte des milices » où partis et syndicats sont tous représentés. Deux fois par semaine, autour de Largo Caballero, se réunit le Conseil suprême de la Guerre par lequel chaque tendance politique et syndicale est associée à la conduite des opérations [2].

Car ce sont les revers militaires qui, aux yeux de tous, ont exigé l'unification du pouvoir et c'est sur l'unification du commandement militaire qu'il insiste dès l'abord :

« Notre première tâche, déclare-t-il à Koltsov, est d'établir l'unité de commandement et de pouvoir. La direction des troupes combattantes de l'Espagne tout entière, Catalogne comprise, est maintenant concentrée entre les mains du ministre de la Guerre. » Or, cet accent mis sur le commandement militaire est déjà une option politique : dans une interview au Daily Express (30 octobre), il la précise en ces termes : « La guerre civile, par définition, a un caractère social et, naturellement, dans le cours de la guerre, peuvent surgir des problèmes de nature économique et sociale... La solution en sera subordonnée à un objectif : gagner la guerre » [3].

Le gouvernement contre les Comités

Pour réaliser ce programme, le gouvernement doit d'abord s'attaquer aux Comités. Théoriquement, sa tâche peut paraître facile : les Comités sont formés de représentants des partis et syndicats qui participent au gouvernement, soutiennent son programme, appuient son action. En réalité, pourtant, les militants montrent beaucoup d'attachement à ces organismes qu'ils ont eux-mêmes bâtis et se regimberont, pour les défendre, contre les consignes mêmes de leurs propres dirigeants. Aussi la dissolution des Comités ne se fera-t-elle jamais brutalement. Partis et syndicats multiplient les arguments : il s'agit de faire admettre aux militants que les Comités, utiles dans la période révolutionnaire, sont désormais dépassés. Claridad,par exemple, écrit : « Nous pouvons affirmer que tous ces organes ont fini d'accomplir la mission pour laquelle ils avaient été créés. Ils ne peuvent plus être, désormais, que des obstacles à un travail qui revient uniquement et exclusivement au gouvernement de Front populaire auquel participent, en pleine responsabilité, toutes les organisations politiques et syndicales du pays. »

En Catalogne, Comorera, leader du P.S.U.C., a fait de leur dissolution la tâche première de la coalition antifasciste : « L'autorité légitime, affirme-t-il, doit pouvoir s'imposer à l'encontre de la dictature irresponsable des Comités.» Leur disparition, nous l'avons vu, a été rendue possible par la bonne volonté de la C.N.T. et du P.O.U.M., après la dissolution du Comité central. A Valence, le Comité exécutif populaire résistera plus longtemps, soutenu par le P.O.U.M. et une fraction de la C.N.T. Juan Peiro se fait chahuter le 27 novembre au théâtre Apollo quand il affirme : « A Valence, le gouvernement donne un ordre et alors les consignes des Comités se mettent en travers. Ou c'est le gouvernement, ou ce sont les Comités qui gouvernent ! » En dépit des interruptions, il martèle : « Ce ne sont pas les Comités. Ce qu'il faut, c'est qu'ils soient les auxiliaires du gouvernement » [4] .

Caballero saura éviter les heurts : il nomme gouverneurs ou maires les dirigeants mêmes des Comités-gouvernement, substitue aux organismes révolutionnaires des organismes réguliers, composés parfois des mêmes hommes, peu différents en apparence, mais, en réalité, moins soumis à l'influence de la base et plus aisément contrôlables par lui. Il laisse subsister certains organismes après les avoir « doublés » et dépouillés de leurs attributions. A Valence, après le départ du colonel Arin et de Juan Lopez, le Comité exécutif populaire n'est plus qu'une simple façade, le jour où le populaire député socialiste et dirigeant de l'U.G.T. Ricardo Zabalza est nommé gouverneur. A Santander, Juan Ruiz, à Gijon, Belarmino Tomas et, en Aragon, Joaquin Ascaso deviennent « délégués du gouvernement ». Pour réduire le Comité de salut public de Malaga, il suffira de muter à Guadalajara le gouverneur Rodriguez, son ancien président, et de le remplacer par un nouveau, moins lié aux organismes révolutionnaires.

Sur le plan local, les Comités-gouvernement s'effacent devant les Ayuntamientos, conseils municipaux composés, eux aussi, de représentants des différents partis et syndicats, et mis en place après un décret du 31 décembre sur la réforme municipale. La différence, minime en apparence, est en réalité considérable. D'une part, le système paritaire de représentation avantage les communistes officiels représentés par le canal de plusieurs organisations : P.C.E. ou P.S.U.C., U.G.T., surtout en Catalogne, J.S.U. partout [5]. Surtout l'initiative ne vient plus d'en bas : même là où, parmi les travailleurs, ils détiennent la majorité, les anarchistes, sans la masse armée qui leur permettait toutes les pressions au temps des Comités, se retrouvent en minorité dans les conseils municipaux. Enfin le maire, l' « alcalde », est choisi par le gouverneur civil : le gouvernement dispose en lui d'un agent direct qu'il n'avait pas au sein des Comités. D'ailleurs, le souci de ménager les susceptibilités, un adroit dosage des nominations, apaisent bien des récriminations[6]. Valence n'a plus son Comité exécutif populaire, mais un gouverneur socialiste de gauche et un maire de la C.N.T. Peu de militants, à la C.N.T. comme à l'U.G.T., semblent avoir pris conscience de l'arme que constituerait contre eux, éventuellement, une telle organisation municipale entre les mains d'un gouvernement qui ne serait pas présidé par Largo Caballero. Rares sont ceux, aussi, qui ont perçu le paradoxe qu'il y avait à promulguer une réforme municipale abolissant, en fait, toute élection, dans le cadre d'un régime qui s'affirmait démocratique[7].

La réforme judiciaire

Ce sont les mêmes principes qui président à la réforme judiciaire effectuée à Valence sous la direction de l'anarchiste Garcia Oliver, à Barcelone sous celle du communiste du P.O.U.M. Andrès Nin. La victoire révolutionnaire de juillet est consacrée par la loi. Mais les nouvelles institutions viennent prendre place dans le cadre de l'ancienne légalité et de l'ancien droit bourgeois réformé. Une amnistie générale efface toutes les condamnations prononcées avant le 19 juillet et dont certaines pesaient d'ailleurs encore sur certains dirigeants révolutionnaires. La femme reçoit l'égalité des droits et notamment la pleine capacité juridique dont elle était jusque-là privée. Les unions libres des miliciens sont légalisées, les formalités du mariage simplifiées. La taxe judiciaire est supprimée, la justice devient gratuite, toutes les procédures sont accélérées. Chaque accusé, devant n'importe quel tribunal, y compris la Cour suprême, reçoit la liberté d'assurer lui-même sa défense ou de recourir aux services d'un avocat, professionnel ou non. Garcia Oliver conserve la structure des Tribunaux populaires créés le 23 juillet par le gouvernement Giral : ils se composent de trois juges, d'un président et d'un procureur, magistrats de profession et de quatorze jurés désignés par les organisations syndicales et politiques. Les Tribunaux populaires de Catalogne, « tribunaux de classe » selon l'expression de leur créateur Andrès Nin, ne comprennent que deux magistrats, le président et le procureur. Les juges, ici, sont les huit représentants désignés par les partis et syndicats. Dans les deux cas, le corps des magistrats, durement éprouvé par la terreur populaire pendant les journées révolutionnaires, est sévèrement épuré, puis remis sur pied : ces juges servent désormais la nouvelle justice en qualité de « techniciens de la justice », assurant la continuité des formes et du droit.

Un nouvel appareil judiciaire est ainsi mis sur pied, peu différent de l'ancien, seulement rajeuni, modernisé, ouvert à tous ceux que cautionnent partis et syndicats de la coalition.

La reconstitution de la police

Le double pouvoir avait, en fait, abouti à multiplier les organismes de répression : Milices de l'arrière, Patrouilles de contrôle, Corps d'investigation et de vigilance, coexistaient avec la Sûreté, les carabiniers, les gardes d'assaut, les gardes civils rebaptisés « gardes nationaux républicains » et dont le gouvernement Giral avait petit à petit rassemblé les unités éparses à l'arrière et au front. Le 20 septembre un décret rassemble toutes ces forces en un corps unique, les « Milices de vigilance de l'arrière » : la police révolutionnaire est officiellement consacrée et se trouve, du coup, placée sous l'autorité directe du ministre de l'Intérieur ; le 15 décembre est organisé le Conseil supérieur de la Sûreté [8] composé de dirigeants politiques. Le 27, le Conseil national s'élargit à des techniciens : outre deux représentants de la C.N.T., deux de l'U.G.T., un de chaque parti, il comprend un chef, un inspecteur et un agent élus par leurs pairs, et le directeur général, haut fonctionnaire nommé par le ministre, qui préside. Dans chaque province sont créés, sur le même modèle, des Conseils régionaux que préside le gouverneur. Ces organismes se transformeront plus vite encore que les Conseils municipaux: leur structure « fédérale » est un obstacle à l'efficacité de l'action policière. Les hauts fonctionnaires y dominent très vite. Largo Caballero doit avoir compris cela quand il fait nommer directeur de la Sûreté son vieil ami Wenceslao Carrillo [9].

On assiste parallèlement à la constitution discrète de ce qui devient un véritable corps de police nouveau. Au moment où le trafic aux frontières est inexistant, le ministre des Finances, Juan Negrin, renforce en effet considérablement les carabiniers, peu nombreux avant guerre [10]. Le correspondant du New York Herald Tribune câble le 28 avril 1937 qu'une « force de police sûre est en train de se constituer » : on en a recruté à cette date plus de 40 000, dont la moitié sont équipés et armés.

Dans les premiers temps, la caution d'un parti ou d'un syndicat était exigée de tout garde ou policier nouveau: c'était la mesure de sécurité destinée à prévenir un noyautage éventuel par les phalangistes. Assez vite cependant, partis et syndicats semblent constituer pour les hauts fonctionnaires un écran entre le gouvernement et ses forces de répression. Un pas décisif sera franchi dans la coupure entre les forces de police et les organisations ouvrières avec l'interdiction faite aux carabiniers et aux gardes d'adhérer à un parti ou un syndicat [11]. La police redevient ainsi, en principe, l'instrument aveugle et docile dont un gouvernement a besoin.

La militarisation des milices

Les défaites militaires d'août et septembre avaient durement secoué les partisans du maintien des milices. Des anarchistes, Durruti, Garcia Oliver, Mera, demandent une organisation unifiée, un commandement unique. Pour tous, il est clair qu'il faut, sous peine de catastrophe, instaurer une discipline de fer au combat et dans le service, coordonner ravitaillement, équipement et communications, élaborer et appliquer une stratégie d'ensemble. Mais c'est à partir de là que commencent les divergences. Les anarchistes veulent réaliser ces transformations dans le cadre des milices, en maintenant l'élection des officiers, la solde unique, la suppression des galons. Le P.O.U.M. prône le modèle russe de 1918-1920, demande le contrôle des officiers par des commissaires et des Conseils de soldats, fait éditer et diffuse le Manuel de l'armée rouge de Trotsky. Personne n'ose prôner la reconstitution d'une armée de type ancien, et le mot d'ordre communiste d' « armée populaire » semble à beaucoup capable de concilier les aspirations révolutionnaires et la nécessité de la discipline. Le gouvernement progressera pas à pas, sans heurter de front l'état d'esprit particulier des milices, qu'il transforme cependant peu à peu en armée.

Le décret du 29 septembre, qui mobilise deux classes, marque le début de la « militarisation » : la junte et bientôt la Comandancia des Milices contrôlent, paient ravitaillent et arment toutes les milices d'organisation. Le premier décret du gouvernement a constitué un état-major qui commence à coordonner et à centraliser. Les recrues sont encadrées par des officiers ou sous-officiers mobilisés et récupérés dans des colonnes. Les corps ainsi formés sont organisés sur le modèle d'unités régulières, en bataillons, régiments, brigades et divisions. Certaines unités de milices refusent d'accepter la militarisation. Frente libertario, organe des milices C.N.T., publie le 27 octobre un violent article intitulé « Abattons l'Armée ». La Colonne de Fer se soulève contre le gouvernement qui lui restreint les crédits. Mais cette résistance est sans espoir. Si Giral n'avait pu reconstituer une armée, c'est que personne n'avait confiance en lui et qu'il ne disposait pas des armes modernes nécessaires. Or le gouvernement Caballero jouit de la confiance des partis et syndicats qui exigent l'unité de commandement et il dispose des armes que lui vaut l'appui de l'U.R.S.S. La répartition même des armes servira à la militarisation des milices : seules les unités « réorganisées » en recevront. Les succès remportés par les troupes organisées par le parti communiste ou par le gouvernement servent aussi à entraîner d'autres colonnes vers la militarisation. Les ministres de la C.N.T. l'appuient, les Comités nationaux de la C.N.T. et de la F.A.I. envoient au front des délégations qui s'efforcent de convaincre les miliciens et leurs chefs. L'une après l'autre, les colonnes les plus dures se résignent, dans l'espoir de recevoir des armes, à se « militariser ». Les Conseils d'ouvriers et de soldats ont supprimés, avec la bénédiction de Solidaridad obrera qui ne leur trouve plus de « raison d'être ». Dans une première phase, les unités sont débaptisées. Les centuries deviennent des compagnies ou des bataillons, les colonnes des régiments ou des brigades, suivant leur effectif. Un premier lien avec les organisations ouvrières disparaît quand un numéro est substitué au nom de chaque colonne. Sur le front d'Aragon, la colonne Durruti devient la 26, Carlos Marx la 27, Francisco Ascaso la 28, Lénine la 29, Macia Companys la 30 division. Puis les grades sont rétablis : les « délégués de main » deviennent caporaux ou sergents, les « délégués de centuries » capitaines, les « chefs de colonne » commandants. Les galons reparaissent, discrets, sur les blousons et les monos. Avec la militarisation, les milices doivent accepter la remise en vigueur – présentée sur le moment comme provisoire en attendant un nouveau texte – de l'ancien Code de justice militaire.

Le problème des cadres reste difficile. Il y avait dans les milices, nous l'avons vu, très peu d'officiers de métier : 200 peut-être dans toute l'Espagne, 12 seulement pour tout le Nord, selon le président Aguirre. Encore ne sont-ils pas sûrs, un bon nombre n'étant, comme dit Rabasseire, que « géographiquement loyaux ». Le général Walch (Le Temps, 12 juillet 38) parle de la « grève perlée » que font certains d'entre eux. André Malraux cite l'exemple d'un artilleur qui fait tirer sur les milices et Borkenau dénonce des cas de sabotage. Tous, malgré les gages donnés, sont suspects à leurs compagnons de combat par leur seule origine. Hernandez Sarabia, Menendez, Martin Blazquez échappent de justesse au paseo. Riquelme et Miaja sont menacés, et le gouvernement les change d'affectation pour les préserver. Escobar et Martinez, les aides de camp de Santillan, sont assassinés [12]. L'une des premières tâches sera donc de former des officiers. Garcia Oliver a fait ses preuves en organisant, à Barcelone, pour le Comité central, l'Ecole populaire d'officiers. Largo Caballero lui confie l'organisation des Ecoles populaires de Guerre. Deux mois après, cinq écoles auront donné une formation sommaire à 3 000 officiers, admis sur présentation d'un parti, d'un syndicat ou d'une colonne [13]. Ainsi se crée un corps d'officiers que le maintien de la solde unique empêche de se dresser en corps privilégié, malgré le rétablissement, avec l'ancien Code, de la discipline et des marques extérieures de respect en dehors du service. L'esprit égalitaire des milices subsiste d'ailleurs, d'autant plus facilement que les chefs improvisés des premières semaines, ouvriers et militants, sont presque toujours confirmés dans leur grade lors de la militarisation de l'unité.

Les chefs de l' « armée populaire » eux-mêmes reflètent la diversité d'origine de ces cadres. Quelques-uns sont d'anciens officiers généraux ou supérieurs de l'armée d'avant la révolution : Miaja et Pozas qui étaient généraux, Rojo qui était commandant et deviendra général, Asensio, lieutenant-colonel, général en septembre, Hernandez Sarabia et Menendez qui étaient aides de camp d'Azaña, les commandants Casa do Perea. D'autres ont monté rapidement en grade parce qu'ils ont commandé dans les milices ou contribué à l'organisation de l'état-major : Francisco Galan, Cordon, Barcelo, Ciutat, le lieutenant de vaisseau Prados qui sera chef d'état-major de la Marine, le commandant Hidalgo de Cisneros qui sera chef d'état-major de l'Aviation. Mais déjà, à leurs côtés, on trouve des chefs d'origine ouvrière, sortis du rang dans les premières semaines de combat, des communistes surtout, comme le tailleur de pierre Lister et le charpentier Modesto [14], ou l'ancien sergent de la Légion Valentin Gonzalez, El Campesino,le compositeur Duran [15], mais aussi des anarchistes, comme Jover, Vivancos et Cipriano Mera, même des militants P.O.U.M. comme le métallo Baldris ou l'employé Rovira. Aucun d'entre eux, pour l'instant, ne dépasse le grade de commandant. Mais ils ont des commandements importants : Lister commande une brigade en octobre 36, une division en janvier 37, Modesto, Duran, Mera commanderont bientôt des divisions. Ces chefs sont jeunes : Duran a 29 ans, Alberto Sanchez, sorti du 5 régiment, commande une brigade à 21 ans.

Cependant, avec l'adoption de l'étoile rouge comme emblème sur les drapeaux de l'armée populaire, c'est sans doute l'institution des commissaires politiques qui a le plus contribué, hors d'Espagne, à créer la légende d'une « révolution communiste ». Dans l'esprit de tous, le mot est encore lié au souvenir de la révolution russe et de l'organisation de l'armée rouge par Trotsky.

L'institution, pourtant, ne remonte pas à 1917. La révolution française a, elle aussi, face à la nécessité de créer une armée régulière avec des cadres politiquement peu sûrs, éprouvé le besoin de contrôler les officiers de carrière, et de galvaniser les hommes par des animateurs politiques. Le « délégué politique » des milices était déjà l'équivalent, non seulement du « commissaire » de 1918-1920, mais du « représentant en mission » de 1794. C'est donc une institution « imaginée par Carnot et perfectionnée par Trotsky », suivant la formule de Gorkin, que le gouvernement Caballero reprend et généralise dans des circonstances semblables.

Le décret d'octobre 36 qui crée le Commissariat donne comme tâche au commissaire de « représenter la politique de guerre du gouvernement dans l'armée et d'accomplir sa mission sans interférer dans le commandement militaire ». Mission vague et mal définie : le commissaire peut, suivant le cas, être tout ou rien. Il sera, en fait, beaucoup. Le règlement du 5 novembre dit qu'il est le « premier et meilleur auxiliaire du commandement, son bras droit », « la sentinelle, l'ojo avizor », en même temps que « le camarade et le modèle » de tous. Il est l'éducateur politique des soldats et des officiers, l'agent de liaison avec la population civile, l'organisateur du travail, des loisirs, du repos. « La première occupation du commissaire politique, c'est l'homme », écrit le règlement que le parti communiste a remis à ses commissaires.

« Aumôniers rouges », comme diront leurs adversaires, les commissaires seront, selon le P.C., « le nerf et l'âme de l'armée populaire ». Ce sont eux qui, plus que quiconque, contribueront, à partir des milices, à former l'armée dont ils sont très souvent les animateurs et parfois les véritables chefs [16].

La « légalisation » des conquêtes

Dans son compte rendu sur sa gestion ministérielle devant les militants de la C.N.T., Garcia Oliver devait déclarer : « Ma gestion a consisté à convertir en réalité légale les conquêtes de fait. » Ce n'est là, pourtant, que l'une des faces de la politique du gouvernement Largo Caballero : stabilisation et légalisation des conquêtes révolutionnaires, mais aussi arrêt de leur expansion.

La mise hors la loi de l'Église, du culte et des pratiques religieuses n'a été consacrée par aucune mesure législative. Elle est restée une réalité de fait. Si l'on en croit Gabriel Péri [17], Jesus Hernandez avait, dès septembre, demandé au gouvernement d'autoriser la réouverture des églises et de proclamer la liberté du culte, qui seront un des points importants du programme du P.C. [18]. Ce sont en tout cas ces propositions qui sont mises en avant au Conseil des ministres du 9 janvier 1937 par Manuel de Irujo : elles se heurtent à l'opposition intransigeante de Garcia Oliver et au veto de Largo Caballero. Dans le domaine scolaire, la tâche est énorme : l'État s'efforce d'assurer la succession des écoles confessionnelles. Jesus Hernandez fait créer, par un décret du 25 novembre, un « baccalauréat simplifié » ouvert aux candidats présentés par les syndicats et les partis du Front populaire. Il organise des équipes spécialisées de miliciens, enseignants, qui s'attaquent, dans les milices et les villages, au problème de l'analphabétisme. La Généralité reconnaît l' « Ecole nouvelle unifiée », mais ni ses principes pédagogiques, ni son fonctionnement sous le double contrôle des syndicats et des enseignants ne seront étendus à l'enseignement d'État, dont la structure n'est pas modifiée.

La présence d'un représentant de la C.N.T. au ministère de l'Industrie avait pu faire espérer une poursuite de la collectivisation commencée spontanément au lendemain de la révolution. Un décret du 2 août du gouvernement Giral prévoyait la saisie (incautacion)des entreprises dont les patrons avaient été compromis dans le soulèvement militaire. Rien ne réglait pourtant, légalement, le sort de celles qui se trouvaient abandonnées pour d'autres raisons, manque de capitaux, mauvaise volonté. Juan Peiro déclare qu'il trouve à son entrée dans le gouvernement une situation véritablement catastrophique : une partie des industries sont « contrôlées », le contrôle étant en réalité une gestion ouvrière, d'autres entreprises sont collectivisées, d'autres, enfin, sont contrôlées mais dirigées par un patron dont l'unique préoccupation est de faire évader ses capitaux. Toutes ces entreprises sont au bord du désastre : dans les bureaux du ministère s'entassent plus de 11 000 demandes de crédit, dont aucune ne sera satisfaite... Peiro propose à Caballero un décret de collectivisation qui n'est pas accepté, car il signifierait une atteinte à la propriété industrielle et par conséquent le risque de représailles occidentales et de resserrement du « blocus des armes ». Les projets de Peiro se réduiront finalement à un décret permettant l' « intervention » du gouvernement dans les industries indispensables à la guerre.

En Catalogne, le Conseil de la Généralité ira plus loin, sous la pression de la C.N.T. et du P.O.U.M. qui ont fait de la « légalisation » des collectivisations la condition de la liquidation du pouvoir révolutionnaire. Le décret du 24 octobre prévoit la collectivisation des entreprises employant plus de 200 salariés et le contrôle des comités ouvriers pour les autres. Sensible aux arguments de politique extérieure, les représentants de la C.N.T. et du P.O.U.M. acceptent l'indemnisation des actionnaires étrangers. Mais l'indemnisation des actionnaires espagnols est admise aussi, sans que le montant en soit fixé : ainsi reste ouverte, dans la perspective d'une restauration de la légalité républicaine, celle de la perception par les anciens actionnaires de véritables dividendes sur les entreprises collectivisées. La C.N.T. et le P.O.U.M. avaient vivement réclamé l'organisation du monopole du commerce extérieur, corollaire à leurs yeux de la collectivisation et surtout condition d'une planification sans laquelle elle ne pouvait que mener au chaos. Elles sont battues sur ce point aussi, et le commerce extérieur reste libre.

La question du crédit, véritable « goulot d'étranglement » des collectivisations, ne sera pas non plus réglée conformément aux vues des révolutionnaires. C'est sa crise, nous l'avons vu, qui menace le fonctionnement même des entreprises collectivisées. Le Conseil de la généralité de Catalogne refuse la création de la Banque pour l'Industrie et le Crédit demandé par la C.N.T. et le P.O.U.M. Le contrôle des banques par le syndicat U.G.T. à Madrid permet d'éviter la fuite des capitaux, mais les banques peuvent réserver leurs crédits aux seules entreprises privées et même prélever des commissions exorbitantes sur les transferts de fonds ordonnés par le gouvernement. Juan Peiro propose la création d'une Banque industrielle, destinée à financer l'activité des usines collectivisées. Mais le ministre des Finances, Negrin, s'y oppose, comme il s'opposera [19] à la demande d'un crédit de 30 millions de pesetas que le ministre de l'Industrie juge indispensable pour faire face aux besoins les plus urgents de l'industrie collectivisée. Ainsi se trouve limité, puis arrêté, le mouvement de collectivisation, le gouvernement restant maître des entreprises par l'intermédiaire des banques. Petit à petit, il affirme son autorité, dans les entreprises incautadas comme les intervenidas, par le choix qu'il fait des contrôleurs et des directeurs. Souci d'efficacité et préoccupations politiques l'amènent souvent à remettre en place, avec d'autres titres, anciens propriétaires ou cadres de maîtrise.

C'est une politique semblable qui prévaut à la campagne. Les mesures gouvernementales ne comblent pas le fossé qui risquait de se creuser entre la révolution agraire et la défense républicaine. Le décret pris par Uribe le 7 octobre 1936 est très en retrait par rapport à la situation réelle dans les campagnes. Muel sur le problème décisif des baux et des redevances, qui restent seulement réglés de fait par une suppression qui n'a rien de légal, il traite de l' « expropriation sans indemnisation et en faveur de l'État » des propriétés agricoles appartenant à des individus liés à la rébellion, les paysans étant laissés libres de décider si l'exploitation en sera collective ou individuelle. Il ne légalise ainsi qu'une partie des expropriations : le nom des propriétaires frappés devra paraître à l'officiel. Il laisse ainsi de graves problèmes en suspens. Des propriétaires qui n'ont aucunement trempé dans la rébellion ont eu leurs terres expropriées. D'autres aussi, qui avaient été considérés comme factieux, mais qu'un tribunal peut blanchir. Certains héritiers, enfin, peuvent faire valoir leurs droits. Des milliers de paysans désormais vont se demander s'ils ne seront pas contraints de rendre les terres qu'ils ont prises au cours de l'été 1936.

Le recul des anarchistes

L'œuvre de restauration de l'État accomplie par le gouvernement Largo Caballero n'a été possible qu'avec la participation des plus populaires des leaders de la C.N.T.-F.A.I. et grâce à l'appui de ses organismes dirigeants. Mais, pour les militants, le tournant est d'autant plus brutal que les explications ont été plus sommaires. Si, comme nous l'avons vu, certains responsables, comme Santillan, ne se sont résignés que la mort dans l'âme à la liquidation du pouvoir révolutionnaire, d'autres vont, très vite, beaucoup plus loin et piétinent allègrement ce qui avait été jusque-là le credo anarchiste [20]. Les dirigeants de la C.N.T. répètent volontiers que Durruti était prêt à « renoncer à tout, sauf à la victoire », et pour beaucoup, ce « tout » signifie les conquêtes révolutionnaires [21]. Les ministres anarchistes sont devenus de vrais ministres [22] et le ministère de la Propagande parle de « El excelentissimo señor ministro de Justicia, camarada Garcia Oliver ». Les officiers et policiers anarchistes parlent et agissent désormais plus en officiers et en policiers qu'en anarchistes : Eroles, commissaire de la Sûreté, affirme que son plus « fervent désir » a été réalisé avec la création d'un corps unique de la Police, et Mera, ignorant désormais les « camarades », affirme ne plus vouloir connaître que « les capitaines et les sergents ».

Bien des responsables en ressentent un profond malaise : ils se souviennent du temps – pas très lointain – où le juge, l'officier, le ministre, incarnaient l'ennemi de classe. Ils ne contestent pas la tactique de collaboration, mais critiquent volontiers le zèle apporté dans son application. Ainsi Santillan, qui se voit retirer ses responsabilités, se tient finalement à l'écart, sceptique et amer, impuissant face à l'appareil de sa propre organisation. Les militants, ont, en général, moins de scrupules et de crises de conscience. Plus que jamais, organisations locales ou régionales, individus même prennent des initiatives sans tenir compte de la politique confédérale. Le gros des opposants, les « sectaires », ne perdent pas leur temps à argumenter et à élaborer des thèses. Ils agissent, et leur désaccord prend les formes les plus variées, de la désertion à la manifestation armée en passant par l'attentat. Le 1° octobre, la Colonne de Fer, formée à Valence et encadrée par des anarchistes, quitte le front de Teruel pour imposer à Valence sa conception de l' « ordre révolutionnaire ». Elle attaque et désarme les gardes, envahit le tribunal dont elle détruit les archives, descend dans les boîtes de nuit et les cabarets, dépouillant les clients de leurs bijoux et de leurs portefeuilles. Il faudra une véritable bataille rangée pour en venir à bout : parmi les morts, on relève un dirigeant socialiste, José Pardo Aracil. Le 30 octobre, toujours à Valence, l'enterrement d'un des chefs de la Colonne de Fer, Ariza Gonzalez – peut-être abattu en représailles – se transforme en émeute armée. Finalement encerclés place de Tétouan par des unités communistes armées de mitrailleuses, les manifestants subissent de lourdes pertes, laissant une cinquantaine de morts. Ici ou là, jour après jour, éclatent des incidents de ce genre, selon un schéma presque toujours identique : une explosion de violence aveugle des anarchistes, souvent sans conviction et en tout cas sans objectif précis, à laquelle forces de police et unités communistes répondent durement, poursuivant leur avantage pour finalement démanteler les positions anarchistes. C'est le cas de Cuenca, où Borkenau avait vu, au mois d'août 36, une véritable « forteresse anarchiste » et qu'il retrouve en février « bastion de l'U.G.T. ».

Un exemple caractéristique du désarroi anarchiste est donné dans la diversité des réactions lors du départ du gouvernement pour Valence, aux premières heures de l'attaque de Madrid. Les ministres anarchistes qui ont combattu cette décision l'acceptent finalement et suivent Caballero. Solidaridad obrera n'hésite pas à affirmer que « l'autorité morale du gouvernement » sera « rétablie et accrue par le changement de résidence ». Or, au même moment, la C.N.T.-F.A.I. de Madrid salue la capitale « délivrée des ministres », et celle de Valence stigmatise les « lâches et les fuyards » du gouvernement. A Tarrancon, une centaine de miliciens anarchistes qui viennent du front de Sigüenza arrêtent la caravane officielle, molestent et menacent les ministres et les ambassadeurs, dont Rosenberg, l'ambassadeur de l'U.R.S.S., et il faudra toute la force de conviction d'Eduardo Val, responsable C.N.T. de Madrid, pour obtenir leur libération, sans sévices [23].

Ces incidents déconsidèrent le mouvement anarchiste et donnent du crédit à ceux de leurs adversaires qui dénoncent le rôle, dans leurs rangs, des « incontrôlables ». Surtout, ils contribuent à les isoler, à permettre que se développent consciemment et se manifestent au grand jour les forces qui leur sont hostiles.

La petite bourgeoisie des villes s'est terrée pendant les premiers mois. Mais si les anarchistes ont fait peur, ils n'ont pas vaincu, ils n'ont pas pris le pouvoir, ils n'ont, surtout, pas écrasé l'adversaire. Faute d'avoir su mener la révolution jusqu'à son terme, ils doivent se résigner maintenant à lui voir relever la tête : la révolution inachevée se retourne contre ses promoteurs.

L'évolution est la même dans les campagnes. Même lorsque le paysan a accepté volontiers la collectivisation dans les premières semaines, il est inquiet de sa position instable. Les réquisitions des milices pèsent lourdement sur lui et la collectivité ne lui semble pas le paradis promis. Les adversaires des collectivisations ont repris confiance, encouragés par les déclarations officielles sur l'ordre, la légalité, la propriété. Ils savent qu'ils peuvent compter sur la nouvelle police: en janvier 37, à la Fatarella, village de 600 habitants dans la province de Tarragone, les petits propriétaires se soulèvent en armes contre les anarchistes qui veulent les collectiviser, et l'affaire fera plusieurs morts et blessés. Un peu partout, la campagne réagit contre la révolution.

C'est que les anarchistes qui, au sommet de la poussée révolutionnaire, dans la cohésion que donne la victoire, n'ont pas su venir à bout d'un débile gouvernement Giral, se heurtent aujourd'hui, en ordre dispersé, sans orientation ni politique, à un gouvernement fort, reconnu de tous, soutenu par leurs propres dirigeants. Ils se heurtent surtout, partout, à la force toujours plus grande des organisations du P.C. et du P.S.U.C. qui possèdent, elles, les cadres et la discipline, les moyens matériels et une politique : ce sont elles qui seront, sur tous les plans, les bénéficiaires en même temps que les principaux agents du déclin anarchiste.

La montée communiste

A partir de septembre 1936, nous l'avons vu, le parti communiste et le P.S.U.C. deviennent un facteur prépondérant de la vie politique. De 30 000 environ au début de la guerre civile, ils passent en quelques mois à plusieurs centaines de milliers de militants, pour atteindre le million en juin 1937.

Mais les dirigeants espagnols du P.C. et du P.S.U.C. ne jouent plus seuls cette partie importante depuis que le gouvernement de Moscou s'y est engagé. Dès la fin de juillet, des délégués de l'Internationale communiste prennent en mains la direction et l'organisation du parti. A Madrid, ce sont l'Argentin Codovila, connu sous le pseudonyme de Medina, le Bulgare Stepanov et surtout l'Italien Togliatti, dit Ercoli, connu sous le nom d'Alfredo [24], éminence grise de Moscou en Espagne. A Barcelone, c'est le Hongrois Geroe, connu sous le nom de Pedro. Ils sont entourés de techniciens et de conseillers dont l'expérience sera précieuse et qui semblent avoir été la plupart du temps des agents de services secrets russes. C'est ainsi que toute la politique militaire du P.C. espagnol est entre les mains de l'Italien Vittorio Vidali, un des agents les plus importants du N.K.V.D. à l'étranger, petit homme « au visage de comique, une figure rose avec un toupet blond », selon Simone Téry, connu en Espagne sous le nom de Carlos Contreras, et surtout de Commandant Carlos. Les uns et les autres disposeront de fonds importants qui leur permettront la mise sur pied d'un sérieux appareil d'action et de propagande.

Alors que la presse réactionnaire du monde entier s'efforce de décrire en Espagne les ravages d'une « révolution bolcheviste », inspirée par les communistes et « l'or de Moscou », le parti communiste a pris, dès les premières heures, une position nettement affirmée en faveur du maintien de l'ordre républicain, pour la défense de la propriété et de la légalité. Tous les discours de ses dirigeants reprennent le même thème : il ne s'agit pas, en Espagne, de révolution prolétarienne, mais de lutte nationale et populaire contre l'Espagne semi-féodale et les fascistes étrangers, en même temps que d'un épisode de la lutte qui oppose dans le monde « les démocrates » à l'Allemagne et à l'Italie. Le parti communiste condamne vigoureusement tout ce qui peut apparaître comme susceptible de briser « l'unité de front » entre la classe ouvrière et les « autres couches populaires ». Il se montre particulièrement soucieux de conserver de bons rapports avec les dirigeants républicains et répète inlassablement ses mots d'ordre de « respect du paysan, du petit industriel, et du petit commerçant ». « Nous nous battons », proclame José Diaz, « pour une république démocratique et parlementaire d'un type nouveau ». Un tel régime suppose la « destruction des racines matérielles de l'Espagne semi-féodale », « l'expropriation des grands propriétaires », la destruction du « pouvoir économique et politique de l'Église », la « liquidation du militarisme », la « désarticulation des grandes oligarchies financières ». Or ces résultats, selon lui, sont déjà atteints. La seule tâche du jour est donc de se battre : « Vaincre Franco d'abord » est le mot d'ordre central des communistes. Pour y parvenir, il faut consolider le « bloc national et populaire », renforcer l'autorité du gouvernement de Front populaire : les communistes soutiennent le gouvernement Companys contre le Comité central, la Junte de Martinez Barrio contre le Comité exécutif populaire, les autorités légales contre les « Comités irresponsables ». Ils défendent, depuis la première heure, la nécessité de la constitution d'une armée régulière, soutiendront Giral, précéderont Largo Caballero dans cette voie. José Diaz déclare à plusieurs reprises que « se lancer dans des essais de socialisation et de collectivisation... est absurde et équivaut à se faire les complices de l'ennemi ». Aussi, le parti communiste mène-t-il campagne acharnée contre tous ceux qui parlent de poursuivre la révolution. « Nous ne pourrons faire la révolution si nous ne gagnons pas la guerre, déclare José Diaz... Ce qu'il faut, c'est d'abord gagner la guerre.» Aussi, dans le camp républicain, dirige-t-il tous ses coups à sa gauche, contre les révolutionnaires. « Les ennemis du peuple sont les fascistes, les trotskystes et les incontrôlables », affirme José Diaz, dans le même discours, et les propagandistes du P.C., s'appuyant sur les procès de Moscou, reprennent inlassablement le thème anti-trotskyste : « Le trotskysme n'est pas un parti politique, mais une bande d'éléments contre-révolutionnaires. Le fascisme, le trotskysme et les incontrôlables sont les trois ennemis du peuple qui doivent être éliminés de la vie politique, non seulement en Espagne, mais dans tous les pays civilisés.» Franz Borkenau a montré les conséquences d'une ligne politique qui entraînait les organisations communistes « staliniennes », au-delà de l'organisation de la lutte contre Franco, vers une lutte ouvertement dirigée contre la révolution en Espagne même, au nom de son inopportunité : « Les communistes ne s'opposèrent pas seulement à la marée des socialisations, ils s'opposèrent à presque toute forme de socialisation. Ils ne s'opposèrent pas seulement à la collectivisation des lopins paysans, ils s'opposèrent avec succès à toute politique déterminée de distribution des terres des grands propriétaires terriens. Ils ne s'opposèrent pas seulement, et à juste titre, aux idées puériles de l'abolition locale de l'argent, ils s'opposèrent au contrôle de l'État sur les marchés... Ils ont non seulement tenté d'organiser une police active, mais montré une préférence délibérée pour les forces de police de l'ancien régime tellement haïes par les masses. Ils ont non seulement brisé le pouvoir des Comités, mais manifesté leur hostilité à toute forme de mouvement de masse, spontané, incontrôlable. Ils agissaient, en un mot, non avec l'objectif de transformer l'enthousiasme chaotique en enthousiasme discipliné mais avec comme but de substituer une action militaire et administrative disciplinée à l'action des masses et de s'en débarrasser complètement » [25].

Cette politique conservatrice assure le développement du P.C. et du P.S.U.C. et élargit leur audience. En Catalogne, le décret sur la syndicalisation obligatoire a regonflé les effectifs de la faible U.G.T. contrôlée par le P.S.U.C. C'est sous son égide que se constituera en syndicat le G.E.P.C.I. (Fédération des Gremios y Entidades de Pequeños Comerciantes y Industriales)qui, sous couleur de défense professionnelle des commerçants, artisans et petits industriels, sera l'instrument de lutte de la moyenne et petite bourgeoisie contre les conquêtes révolutionnaires. Dans le Levante, où l'U.G.T. a au contraire, une base de masse chez les petits paysans, le P.C., avec Mateu, organisera une Fédération paysanne indépendante que soutiendront tous les adversaires de la collectivisation, caciques compris.

De façon plus générale, c'est vers le P.C. et le P.S.U.C., défenseurs de l' « ordre et de la propriété » que se tournent les partisans de l'ordre et de la propriété en Espagne républicaine. Magistrats, hauts fonctionnaires, officiers, policiers, trouvent en lui l'instrument de la politique qu'ils souhaitent, en même temps qu'un moyen de s'assurer, le cas échéant, protection et sécurité [26]. Du même coup, le P.C. cesse d'être un parti à composition prolétarienne : à Madrid, en 1938, selon ses propres chiffres, il ne compte que 10 160 syndiqués sur 63 426 militants, ce qui indique un faible pourcentage d'ouvriers [27]. La propagande du P.C. met d'ailleurs l'accent sur les « personnalités » recrutées, dont certaines sont, pourtant, loin de présenter toutes les garanties en ce qui concerne la sincérité de leur dévouement à une cause « ouvrière » [28].

Il serait cependant erroné de n'expliquer la croissance du P.C. que par sa politique modérée et son loyalisme républicain. Dans le chaos des premiers mois, en effet, le parti communiste s'avère une remarquable force d'organisation, un instrument terriblement efficace. Avec certaines de ses réalisations, ses appels à l'unité antifasciste rencontrent un immense écho chez tous ceux, républicains, socialistes, syndicalistes, inorganisés, qui veulent avant tout se battre contre Franco. Les Hernandez, Pasionaria, Comorera même, ne sont pris au sérieux dans leurs diatribes contre les Comités et les « incontrôlables», dans leurs appels à la discipline et au respect de la légalité, que parce que leur parti s'est révélé capable de bien se battre, parce qu'il sait construire et donner l'exemple.

L'histoire de la défense de Madrid montre aussi, que, dans certaines circonstances, le parti communiste est capable, non seulement de faire appel à des traditions révolutionnaires comme celles de l'octobre russe ou de l'armée rouge, mais encore d'utiliser des méthodes proprement révolutionnaires, en un mot d'apparaître, aux yeux de larges masses, comme un parti authentiquement révolutionnaire. Bien des militants espagnols ou « internationaux » ont vécu dans la défense de la capitale une épopée révolutionnaire dont l'emblème purement antifasciste n'était à leurs yeux que provisoire. Contre les mercenaires allemands ou italiens, ils se voulaient combattants de la Révolution prolétarienne internationale. Nombre d'entre eux ont combattu la révolution dans l'immédiat, avec la conviction qu'il ne s'agissait que d'un repli tactique provisoire, et qu'au bout de la lutte antifasciste se trouvait la Révolution communiste mondiale.

L'un des instruments les plus efficaces du développement de l'influence du P.C. a été, sous cet angle, le 5 régiment. Dès le 19 juillet, les militants communistes de Madrid occupent un couvent salésien à Cuatro Caminos et organisent une unité qui comptera 8 000 hommes à la fin du mois. Le choix même du vocable « régiment » et de son numéro, 5, est significatif : la direction du P.C. fait de cette unité le 5 régiment parce qu'il existait, à Madrid, quatre régiments avant l'insurrection. C'est Enrique Castro Delgado, délégué par le bureau politique, et secondé par le commandant Carlos, qui est chargé de sa mise sur pied. Ils constituent, dans chaque bataillon, les « Compagnies d'acier » formées en majorité de militants communistes, font appel systématiquement aux officiers et sous-officiers de réserve ou de carrière. Avec l'aide russe, le 5 régiment se développe avec une rapidité foudroyante. Il est équipé, entraîné, encadré. Le gouvernement le favorise parce qu'il est un modèle de discipline : il a remis en vigueur toutes les pratiques des unités régulières, le salut, les galons, les grades.

Des officiers de carrière engagés dans d'autres colonnes demandent à rejoindre cette unité où ils retrouvent les conditions de service qui sont, à leurs yeux, normales. Le 5 régiment a un orchestre, une chorale, un quotidien, Milicia popular. Il a bientôt sa légende. A la fin de septembre, il groupe 30 000 hommes. Il va devenir le 5 corps, comptant plus de 100 000 hommes, et encadrera finalement la plus grande partie de l'armée du Centre.

C'est dans le 5 régiment qu'apparaît pour la première fois le vocable de « commissaire » : en effet, son développement, aux yeux des dirigeants du P.C., ne doit pas échapper à l'appareil du Parti. Le commissaire maintient dans ces unités régulières la discipline politique d'un parti, le contrôle sur les techniciens, l'animation du moral des hommes. Et le parti communiste saura utiliser son expérience du commissariat pour étendre son influence dans l'armée. Il est la seule organisation à avoir véritablement compris les possibilités qu'offre le corps des commissaires à un parti actif. Grâce à la protection du commissaire général, Alvarez del Vayo, ils arrivent littéralement à coloniser le commissariat pendant sa première année d'existence [29]. Grâce à lui, ils peuvent diffuser leurs mots d'ordre parmi les troupes et les principaux thèmes de leur propagande : démocratie, patriotisme, discipline. Alors que les commissaires politiques de l'armée rouge avaient été les propagandistes de la révolution et du socialisme, ces deux mots seront bannis du vocabulaire des commissaires espagnols dont, par la volonté du P.C., l'une des raisons d'être sera précisément de lutter dans l'armée contre tous ceux pour qui la révolution immédiate est encore une tâche aussi importante que la guerre.

Les communistes staliniens, devenus intouchables depuis la livraison des armes russes, défenseurs conséquents du programme antifasciste de restauration de l'État, organisateurs de l'Armée, deviennent ainsi les éléments les plus dynamiques de la coalition gouvernementale. Azaña, Companys, Prieto, Largo Caballero lui-même, leur montrent la même confiance, leur accordent l'appui qu'ils reprocheront plus tard à un Del Vayo de leur avoir accordé. Leur position se renforce tous les jours, non seulement dans l'opinion publique, mais peut-être plus encore dans l'appareil d'État. Nous venons de voir la place qu'ils occupent dans les cadres politiques et militaires de l'armée populaire. Ce sont également des communistes qui contrôlent les services de la censure et du chiffre. Leurs hommes, Burillo à Madrid, Rodriguez Salas à Barcelone, détiennent les postes-clés de la nouvelle police. Leur cohésion et leur discipline posent désormais un problème : ne constituent-ils pas, déjà, un État dans l'État ?

Quelques incidents sérieux montrent qu'ils sont décidés à utiliser leurs positions à des fins que ne justifie pas le souci, si souvent affirmé, de l'unité de front et de l'intérêt général et – ce qui est plus grave encore – qu'ils entrent dans cette voie sur les indications du gouvernement russe. Lorsque se constitue à Madrid la Junte de défense, malgré la décision prise d'y représenter tous les partis, le parti communiste oppose un veto absolu à la présence du P.O.U.M. qualifié de « trotskyste » et d' « ennemi de l'Union soviétique » [30]. La Batalla proteste et porte le conflit au grand jour : « Ce qui intéresse réellement Staline, écrit-elle le 15 novembre, ce n'est pas le sort du prolétariat espagnol et international, mais la défense du gouvernement soviétique suivant la politique des pactes établis par certains États contre d'autres. » Le 28 novembre, dans une note à la presse, le consul général de l'U.R.S.S. à Barcelone, Antonov Ovseenko, n'hésite pas à intervenir dans la politique intérieure de l'Espagne républicaine, dénonçant en la Batalla, « la presse vendue au fascisme international ». C'est cette affaire qui amènera une crise ministérielle en Catalogne, et, finalement, l'exclusion du P.O.U.M. du Conseil de la Généralité. Le commentaire, dans la Pravda du 17 décembre, de cet événement, venant après les premiers procès de Moscou, constitue une menace non déguisée : « En Catalogne, l'élimination des trotskystes et des anarcho-syndicalistes a déjà commencé ; elle sera conduite avec la même énergie qu'en U.R.S.S. »

Bilan de cette restauration

Il y a d'ailleurs, dans le tableau, bien d'autres ombres inquiétantes. La dualité de pouvoir a certes disparu, mais, dans bien des cas, elle a fait place à une administration multiple dont les organes se contrecarrent ou se gênent mutuellement. Le cas de Malaga n'est pas une exception, où subsistent côte à côte les pouvoirs fantômes du gouverneur Arraiz et du Comité, la seule autorité réelle étant celle de militaires incapables de comprendre et de diriger leurs troupes ouvrières et paysannes. Les inconvénients que présentaient des centaines d'organismes policiers de village ont disparu avec la réorganisation de la police, mais force est bien de constater avec Borkenau qu'a disparu avec eux « l'intérêt passionné du village pour la guerre civile ». Le libertaire italien Bertoni écrit du front d'Huesca : « La guerre d'Espagne, dépouillée de toute foi nouvelle, de toute idée de transformation sociale, de toute grandeur révolutionnaire... reste une terrible question de vie ou de mort, mais n'est plus une guerre d'affirmation d'un nouveau régime et d'une nouvelle humanité »[31].

C'est pourtant à ce moment que se déroule la bataille de Madrid : guerre moderne où s'affrontent deux armées organisées, où s'opposent avions, canons et blindés, guerre révolutionnaire aussi où le moral des combattants réalise ce qui est techniquement impossible, où le peuple en armes tient tête à deux des plus grandes puissances militaires de l'Europe. Les batailles de Madrid et Guadalajara, les seules grandes victoires républicaines de cette guerre, se situent en plein tournant : l'organisation et la discipline n'avaient pas tué l'enthousiasme et la foi, l'enthousiasme et la foi s'appuyaient sur la discipline et l'organisation, sur les armes aussi, sans lesquelles il n'est pas de cause qui puisse triompher, quels que soient les sacrifices qu'elle ait été capable de susciter.

Notes

[1] Selon Alvarez del Vayo (La guerre empezo en España,p. 216).

[2] Le Conseil suprême comprenait, outre Largo Caballero, Prieto (Production de guerre), Alvarez del Vayo (Encadrement politique des troupes), Garcia Oliver (Formation des cadres militaires), et Uribe (Ravitaillement et intendance).

[3] Il y a sur ce thème une remarquable unanimité dans les organisations antifascistes. C'est Companys qui réclame « un gouvernement fort, un gouvernement à pleins pouvoirs » puisqu'il n'est pas « autre chose que l'autorité déléguée de toutes les forces antifascistes, politiques et syndicales qui y sont représentées ». Azaña, pour une « politique de guerre » exige « une seule discipline, celle du gouvernement responsable de la République ». Le communiste Mije affirme : « Le mot d'ordre du moment doit être de tout gagner par le gouvernement et pour le gouvernement, de renforcer son autorité et son pouvoir ». L'anarchiste Peiro, devenu ministre, insiste : « Nous disons : d'abord la guerre et ensuite la révolution. C'est le gouvernement qui commande. »

[4] Compte rendu dans Peirats, t. I, pp. 253-254.

[5] Les proportions sont parfois bouleversées. Ainsi, à Castellon, le Comité comprenait 35 membres, 14 de la C.N.T., 7 du P.O.U.M., 7 de l'U.G.T., 7 républicains. Avec la réforme municipale, C.N.T., U.G.T., P.O.U.M., P.C., J.S.U., socialistes, partis républicains auront des représentations égales.

[6] Pour bien des militants, c'est une carrière administrative qui commence et dont les avantages expliquent peut-être certains ralliements.David Antona, maçon en 1936, est gouverneur civil de Cindad Libre (Cindad Real)en 1939. Rares sont ceux qui, comme Juan Lopez, retourneront à l'usine après avoir été ministres ou hauts fonctionnaires.

[7] La capacité de résistance des Comités a dépassé ce qui était normalement prévisible, étant donnée l'unanimité des organisations. Le 8 février, José Diaz consacre plus de la moitié d'un grand discours à Valence à la nécessité de faire disparaître les « gouvernements miniature » et de substituer aux Comités des Conseils municipaux : le décret date d'un mois. Le 27 avril, A.B.C., – saisi dès juillet 36 par les républicains – rapporte que le gouvernement de Castellon a dû intervenir pour remplacer un Comité par un Conseil municipal.

Surtout, faute de documents, il faut simplement indiquer une exception de taille. Les Comités subsistent aux Asturies, avec l'accord des organisations qui militent ailleurs pour leur dissolution. Le député socialiste Amador Fernandez, membre du Conseil régional, déclare à la presse (A.B.C., 12 février 1937) : « Il faut confesser qu'il n'y a pas ici phobie des Comités. » Le 8 janvier, C.N.T. et U.G.T. des Asturies avaient, au contraire, signé un accord pour la généralisation à toutes les entreprises de Comités de contrôle C.N.T.-U.G.T. (avec un nombre égal de militants de chaque centrale, sous la présidence d'un membre de l'organisation majoritaire dans l'entreprise). Le Congrès de l'U.G.T. asturienne, le 13 avril 1937, dont Javier Bueno souligne dans Claridad qu'il est le « 1° congrès de la révolution », confirme cette orientation. Aux élections à la commission exécutive, la liste communiste des adversaires des Comités, dite d' « unité », n'obtient que 12 000 voix contre 87 000 à celle de la direction sortante. La J.S.U. asturienne (cf. ch. XI) se dresse contre l'influence du P.C. et forme un « Front révolutionnaire » avec les Jeunesses libertaires.

Jusqu'à leur chute, les Asturies restent une Commune assiégée. La résistance de groupes armés de partisans, de longs mois après la victoire de Franco, prouve la profondeur de l'élan révolutionnaire que l'œuvre de restauration de l'Etat, menée ici avec plus de prudence, n'avait pas pu briser (voir 2° partie, ch. IV).

[8] Il comprend Galarza (U.G.T.) ministre de l'Intérieur, Jesus Hernandez, Espla et Garcia Oliver.

[9] W. Carrillo remplace M. Muñoz qui était déjà directeur avant la révolution. Negrin le remplacera par le communiste Ortega.

[10] Les carabiniers étaient les traditionnels douaniers. Leur développement à cette époque leur vaudra le surnom de hijos de Negrin.

[11] Cette mesure ne semble pas avoir été respectée, au moins en ce qui concerne certains partis. Voir chapitre XI, note 15, les incidents provoqués par le « prosélytisme » communiste de Margarita Nelken auprès des gardes d'assaut.

[12] Escobar et Martinez ont été tués le 21 novembre. L'enquête officielle n'a pas abouti. Santillan dit que leur liquidation fut réalisée à l'instigation d'un « autre secteur antifasciste » qui accusait à tort ses collaborateurs de jouer double jeu. Martin Blasquez accuse des miliciens de la F.A.I. de la tentative d'assassinat contre lui et ses amis.

[13] Garcia Oliver a calqué leur organisation sur le modèle de celle de Barcelone. Mais les progrès réalisés par les techniques de la guerre moderne expliquent les insuffisances des officiers ainsi instruits : on ne saurait apprendre, en deux mois, à diriger une compagnie.

[14] Voir chapitre V, note 25.

[15] Il semble que Duran ait servi de modèle à André Malraux pour l'un des personnages principaux de L'Espoir, le communiste Manuel. On peut rapprocher ce que Manuel dit de lui-même dans le roman, de ce que Duran confie à Simone Téry (Espagne, Front de la Liberté, p. 147 notamment). Dans le 5 régiment, Duran avait commandé la Compagnie de Fer, unité de mitrailleurs motocyclistes organisée d'après une idée d'André Malraux (ibid, p. 129).

[16] Alvarez del Vayo sera, le 17 octobre, nommé commissaire généraI. Autour de lui sont désignés comme vice-commissaires généraux, Mije du P.C., Crescenciano Bilbao, socialiste, Gil Roldan, de la C.N.T., et Pestaña, du parti syndicaliste. Le 9 décembre, Mije est nommé commissaire général. Pendant toute cette période, Pretel de l'U.G.T. est secrétaire général du Commissariat.

[17] L'Humanité, 19 avril 1937.

[18] C'est de la radio du P.C. qu'un prêtre catholique, le R. P. Lobo, s'adresse aux Madrilènes pour leur demander de rejoindre les rangs du peuple.

[19] Selon Juan Peiro, le crédit qui lui fut finalement offert, après longue discussion du Conseil, était de 24 millions de pesetas, sur lesquels le ministère de l'Industrie devait encore payer 6 % d'intérêts.

[20] Solidaridad obrera demande aux Français leur appui contre les « Boches ». Federica Montseny dit que la guerre se mène contre les « envahisseurs étrangers ».

[21] Après sa mort, Durruti a été utilisé par toutes les tendances. Citons, en opposition à cette phrase si souvent répétée, sa déclaration à Pierre Van Paasen : « Nous voulons la révolution, ici, en Espagne, maintenant et non pas peut-être après la prochaine guerre européenne » (interview citée par F. Morrow).

[22] Garcia Oliver dit aux élèves officiers : « Vos soldats... cessent d'être vos camarades et doivent prendre place dans l'engrenage de la machine militaire de notre armée. »

[23] Contrairement à ce qu'affirment la majorité des auteurs, il semble que les miliciens de la C.N.T. de Tarrancon n'appartenaient pas à la Colonne de Fer, mais qu'il s'agissait d'éléments madrilènes (cf. ce que dit Guzman, dans Madrid rojo y negro,de leur chef, Villanueva).

[24] Jesus Hernandez affirme que Togliatti se trouvait en Espagne dès les premiers jours de l'insurrection, donc pendant l'été 1936, et qu'il siégeait de façon permanente au B.P. du P.C.E. Les biographes officiels de Togliatti, les Ferrara, disent qu'il est arrivé en Espagne en juillet 1937 (p. 280), qu'il « devait se montrer le moins possible » (p. 288) et confirment que « son travail fut entièrement consacré aux questions espagnoles, à celles du parti communiste et au mouvement populaire espagnol ».

[25] Borkenau, op. cit. p. 292.

[26] Bien entendu, on a vu aussi affluer, à la C.N.T. par exemple, des gens de droite désireux de s'assurer une « couverture ». Mais seul le P.C. offrait, en même temps que la protection, la perspective d'une lutte pour l'ordre.

[27] Borkenau dit que le P.C. est d'abord « le parti du personnel militaire et administratif ». Viennent ensuite les petits bourgeois et paysans aisés, puis les employés, en dernier lieu seulement les ouvriers d'industrie. Dolléans, citant le cas de Valence, où les anciens de la C.E.D.A. ont rejoint le P.C., dit qu'il recrute « parmi les éléments les plus conservateurs du bloc républicain ». La majorité des officiers de carrière, dont quelques-uns avant guerre n'étaient que des républicains, quand ils n'étaient pas de droite, adhèrent au P.C. Citons Miaja et Pozas, et les Jeunes Hidalgo de Cisneros, Galan, Ciutat, Cordon, Barcelo …

[28] Le 1° Janvier 37, l'un des fils du président Alcala Zamora, José Alcala Castillo, revenu depuis quelques jours d'exil, adhère au Parti : le 6, une émission spéciale du P.C. à la radio, avec la participation de Balbontin, est adressée aux « fils de la grande bourgeoisie qui luttent dans le camp adverse » et à qui on demande de « passer en masse aux côtés du peuple espagnol ». José Alcala Castillo sera choisi pour faire partie d'une délégation de « travailleurs » envoyée en U.R.S.S. pour les fêtes du 1° mal. La presse espagnole reproduira un article de lui, dans les Izvestia du 6, avec ses remerciements au « grand camarade Staline ».

Une autre recrue, très représentative de la nouvelle couche de militants du P.C., est Constancia de La Mora. Fille d'une des plus grandes familles de l'oligarchie espagnole, petite-fille d'Antonio Maura, homme d'Etat conservateur pour qui elle ne cache pas son admiration, elle entre en conflit avec sa famille et son milieu à la suite d'un mariage désastreux avec un señorito de Malaga (Bolin, dont parlent par ailleurs Koestler et Chalmers Mitchell). Divorcée et remariée avec Hidalgo de Cisneros, elle a dirigé la censure à Madrid, n'hésitant pas à censurer les décisions du gouvernement, conformément aux ordres de son parti. Son autobiographie, Fière Espagne, est un intéressant témoignage : cette femme intelligente, énergique et courageuse, parle encore le langage de sa classe et manifeste aux « ultra-révolutionnaires » la même hostilité que son grand-père aux socialistes.

[29] La Pasionaria, dans Mundo obrero du 19 mars 1937, citant un état des pertes subies par le corps des commissaires, révèle, peut-être involontairement, la prépondérance communiste : sur 32 commissaires tués, 21 appartenaient au P.C., 7 à la J.S.U. ; sur 55 blessés, 35 étaient du P.C., 1 de la J.S.U. Même si l'on admet, avec elle, que les communistes, plus héroïques que les autres par définition sont donc plus exposés que les autres, il est clair que leur influence était prépondérante. Caballero accuse nettement Del Vayo d'avoir favorisé leur pénétration. Prieto incrimine Anton, chef des commissaires du front de Madrid, et membre du bureau politique du P.C. Il est incontestable que le P.C. comprit avant les autres organisations l'importance du rôle des commissaires et que les candidats communistes furent plus nombreux que les autres.

[30] Enrique Rodriguez, responsable du P.O.U.M. à Madrid fut informé de cette décision par le socialiste Albar qui lui dit : « L'ambassadeur Rosenberg a mis son veto à votre présence. C'est injuste, bien sur, mais comprenez-nous : l'U.R.S.S. est puissante ; entre nous priver de l'appoint du P.O.U.M. et nous priver de l'aide de l'U.R.S.S., nous avons choisi. Nous préférons nous incliner et refuser le P.O.U.M. » Andrade et Gorkin se rendent alors à Madrid, mais échouent eux aussi. Le P.O.U.M. ne sera pas représenté dans la Junte.

[31] Cité par Berneri, Guerre de classes en Espagne,p. 40.