1917

Les tâches des bolchéviks à la veille de la prise du pouvoir.
Préparer, se préparer à la révolution...


Les tâches du prolétariat dans notre révolution

Lénine

La situation dans l'Internationale Socialiste


16

Les obligations internationales de la classe ouvrière de Russie, aujourd'hui surtout, s'inscrivent au premier plan.

On ne jure plus à notre époque que par l'internationalisme. Jusqu'aux chauvins jusqu'auboutistes, jusqu'à MM. Plekhanov et Potressov, jusqu'à Kérenski, qui se disent internationalistes. Le parti du prolétariat a le devoir d'autant plus impérieux d'opposer, avec une clarté, une précision, une netteté absolues, l'internationalisme en action à l'internationalisme en paroles !

Appels platoniques aux ouvriers de tous les pays; vaines protestations d'attachement à l'internationalisme ; tentatives directes ou indirectes d'établir un « tour de rôle » pour l'action du prolétariat révolutionnaire dans les divers pays belligérants ; recherche laborieuse d'une « entente » entre socialistes des pays belligérants à propos de la lutte révolutionnaire ; remue‑ménage autour de congrès socialistes en vue d'une campagne pour la paix, etc., etc. : si sincères que soient les protagonistes de ces idées, de ces tentatives ou de ces plans, tout cela n'est objectivement que du verbiage ou, dans le meilleur des cas, des souhaits naïfs et bien intentionnés, propres uniquement à masquer la duperie des masses par les chauvins. Et les social‑chauvins français, qui sont les plus habiles, les plus rompus aux filouteries parlementaires, ont depuis bien longtemps battu tous les records dans l'art de prononcer des phrases pacifistes et internationalistes infiniment grandiloquentes et sonores, tout en trahissant avec un cynisme inouï le socialisme et l'Internationale, en entrant dans les ministères qui font la guerre impérialiste, en votant les crédits ou les emprunts (comme Tchkhéidzé, Skobélev, Tsérétéli, Stéklov récemment en Russie), en s'opposant à la lutte révolutionnaire dans leur propre pays, etc., etc.

Les bonnes gens oublient souvent l’atmosphère de cruauté, de férocité qui est celle de la guerre impérialiste mondiale. Atmosphère qui n’admet pas la phrase, se moque des vœux naïfs et douceâtres.

Il n’est qu’un, et un seul internationalisme véritable : il consiste à travailler avec abnégation au développement du mouvement révolutionnaire et de la lutte révolutionnaire dans son propre pays, à soutenir (par la propagande, la sympathie, une aide matérielle) cette même lutte, cette même ligne, et elle seule, dans tous les pays sans exception.

Tout le reste n'est que mensonge et optimisme béat.

Trois tendances se sont dessinées dans tous les pays, au sein du mouvement socialiste et ouvrier international, depuis plus de deux ans que dure la guerre. Et quiconque, s'écartant du terrain de la réalité, se refuse à reconnaître l'existence de ces trois tendances, à les analyser, à lutter de façon conséquente pour celle qui est véritablement internationaliste, se condamne à l'inertie, à l'impuissance et à l'erreur.

Ces trois tendances sont les suivantes :

1) Les social‑chauvins, socialistes en paroles, chauvins en fait, qui admettent la « défense de la patrie » dans une guerre impérialiste (et, avant tout, dans la guerre impérialiste actuelle).

Ce sont nos adversaires de classe. Ils sont passés à la bourgeoisie.

Tels sont la plupart des chefs officiels de la social‑démocratie officielle dans tous les pays. MM. Plékhanov et consorts en Russie ; les Scheidemann en Allemagne ; Renaudel, Guesde, Sembat en France ; Bissolati et consorts en Italie ; Hyndman, les fabiens et les « labouristes » (chefs du « parti travailliste ») en Angleterre ; Branting et consorts en Suède ; Troelstra et son parti en Hollande ; Stauning et son parti au Danemark ; Victor Berger et autres « défenseurs de la patrie » aux Etats‑Unis, etc.

2) La deuxième tendance est celle dite du « centre », qui hésite entre les social‑chauvins et les véritables internationalistes.

Le « centre » jure ses grands dieux qu'il est marxiste, internationaliste, qu'il est pour la paix, pour toutes les « pressions » sur les gouvernements, pour toutes les « revendications » tendant à obliger son propre gouvernement à « manifester la volonté de paix du peuple », pour toutes les campagnes possibles et imaginables en faveur de la paix, pour la paix sans annexions, etc., etc., et pour la paix avec les social-chauvins. Le « centre » est pour l’« unité », le centre est l’adversaire de la scission.

Le « centre », c'est le règne de la phrase petite‑bourgeoise bourrée de bonnes intentions, de l'internationalisme en paroles, de l'opportunisme pusillanime et de la complaisance pour les social‑chauvins en fait.

Le fond de la question, c'est que le « centre » n'est pas convaincu de la nécessité d'une révolution contre son propre gouvernement, ne la préconise pas, ne poursuit pas une lutte révolutionnaire intransigeante, invente pour s'y soustraire les faux‑fuyants les plus plats, bien qu'à résonance archi-marxiste.

Les social‑chauvins sont nos adversaires de classe, des bourgeois au sein du mouvement ouvrier. Ils y représentent des groupes, des milieux ouvriers objectivement achetés par la bourgeoisie (meilleur salaire, postes honorifiques, etc.) et qui aident leur bourgeoisie à piller et à étrangler peuples petits et faibles, à faire la guerre pour le partage du butin capitaliste.

Le « centre », ce sont des hommes de routine, rongés un légalisme pourri, corrompus par l'atmosphère du parlementarisme, etc., des fonctionnaires habitués aux sinécures et à un travail « de tout repos ». Historiquement et économiquement parlant, ils ne représentent pas une couche distincte. Ils représentent simplement la transition entre une phase révolue du mouvement ouvrier, celle de 1871-1914, qui a beaucoup donné, surtout dans l'art, nécessaire au prolétariat, de l'organisation lente, soutenue, systématique, à une grande et très grande échelle, ‑ et une phase nouvelle, devenue objectivement nécessaire depuis la première guerre impérialiste mondiale, qui a inauguré l'ère de la révolution sociale.

Le principal leader et représentant du « centre » est Karl Kautsky, qui jouissait dans la II° Internationale (1889-1914) de la plus haute autorité et qui offre depuis août 1914 l'exemple d'un reniement complet du marxisme, d’une veulerie inouïe, d'hésitations et de trahisons lamentables. La tendance du « centre », c'est Kautsky, Haase, Ledebour, la « Communauté ouvrière ou du Travail [1] » au Reichstag ; en France, Longuet, Pressmane et les « minoritaires [2] » en général ; en Angleterre, Philip Snowden, Ramsay MacDonald et de nombreux autres leaders de l'« Independent Labour Party », et, en partie, du Parti socialiste britannique [3] ; Morris Hillquit et beaucoup d'autres aux Etats‑Unis ; Turati, Treves, Modigliani, etc., en Italie ; Robert Grimm, etc., en Suisse ; Victor Adler et Cie en Autriche ; le parti du Comité d'Organisation, Axelrod, Martov, Tchkhéidzé, Tsérétéli et consorts en Russie, etc.

On conçoit que certains passent parfois, sans s'en rendre compte, du social‑chauvinisme au « centre » et vice versa. Tout marxiste sait que les classes restent distinctes bien que les individus passent librement d'une classe à une autre. De même les tendances, dans la vie politique, se distinguent entre elles bien que les individus passent librement d'une tendance à une autre, malgré les tentatives et les efforts qui sont faits pour amener la fusion de ces tendances.

3) La troisième tendance est celle des véritables internationalistes que représente le mieux « la gauche de Zimmerwald [4] » (nous reproduisons en annexe son manifeste de septembre 1915 afin que le lecteur apprenne, par un document authentique, comment cette tendance est née).

Caractère distinctif essentiel : rupture complète avec le social‑chauvinisme aussi bien qu'avec le « centre ». Lutte révolutionnaire intransigeante contre son propre gouvernement impérialiste et sa propre bourgeoisie impérialiste. Principe : « l'ennemi principal est dans notre propre pays ». Guerre sans merci à la phraséologie mielleuse des social-pacifistes (le social‑pacifiste est un socialiste en paroles, un pacifiste bourgeois en fait ; les pacifistes bourgeois rêvent d'une paix éternelle sans renversement du joug et de la domination du capital) et aux faux‑fuyants de toutes sortes tendant à nier la possibilité, le bien‑fondé ou l'opportunité d'une lutte révolutionnaire du prolétariat et de la révolution prolétarienne, socialiste, en liaison avec la guerre actuelle.

Les représentants les plus marquants de cette tendance sont : en Allemagne, le « groupe Spartacus » ou « groupe de l'Internationale [5] », auquel appartient Karl Liebknecht.

Karl Liebknecht est le représentant le plus notoire de cette tendance et de la nouvelle Internationale, Internationale authentique, prolétarienne.

Karl Liebknecht a appelé les ouvriers et les soldats d'Allemagne à tourner leurs armes contre leur propre gouvernement. Il l'a fait ouvertement, du haut de la tribune du Parlement (Reichstag). Puis il s'est rendu à une manifestation sur la place de Potsdam, l'une des plus vastes de Berlin, porteur de tracts imprimés clandestinement, en lançant le mot d'ordre : « A bas le gouvernement ! » Arrêté, il a été condamné aux travaux forcés. Il est maintenant dans un bagne, ainsi que des centaines, sinon des milliers, de vrais socialistes d'Allemagne emprisonnés pour avoir lutté contre la guerre.

Karl Liebknecht a combattu sans merci, dans ses discours et dans ses lettres, non seulement les Plékhanov et les Potressov de chez lui (les Scheidemann, les Legien, les David et Cie), mais aussi les hommes du centre, les Tchkhéidzé et les Tsérétéli de chez lui (Kautsky, Haase, Ledebour et Cie).

Karl Liebknecht et son ami Otto Rühle ont, seuls sur cent dix députés, rompu la discipline, brisé l'« unité » avec le  « centre » et les chauvins; ils se sont dressés contre tous. Liebknecht seul représente le socialisme, la cause du prolétariat, la révolution prolétarienne. Tout le reste de la social‑démocratie allemande n'est, selon la juste expression de Rosa Luxembourg (elle aussi membre et l'un des chefs du « groupe Spartacus »), qu'un cadavre puant.

Un autre groupe de véritables internationalistes, en Allemagne, est l'équipe du journal Arbeiterpolitik de Brême.

En France, ce sont Loriot et ses amis (Bourderon et Merrheim ont versé dans le social‑pacifisme) qui se rapprochent le plus des véritables internationalistes, ainsi que le Français Henri Guilbeaux qui publie à Genève la revue Demain. En Angleterre, ce sont le journal The Trade‑Unionist et une partie des membres du Parti socialiste britannique et de l'Independent Labour Party (William Russel, par exemple, qui a appelé ouvertement à rompre avec les chefs traîtres au socialisme), le socialiste écossais MacLean,  instituteur condamné aux travaux forcés par le gouvernement bourgeois anglais pour sa lutte révolutionnaire contre la guerre ; des centaines de socialistes anglais sont en prison pour ces mêmes crimes. Eux, et eux seuls, sont de véritables internationalistes. Aux Etats-Unis, le « Parti ouvrier socialiste [6] » et les éléments de l'opportuniste « Parti socialiste [7] » qui publient depuis janvier 1917 le journal The Internationalist ; en Hollande, le parti des « tribunistes [8] », qui édite le journal De Tribune (Pannekoek, Herman Gorter, Wijnkoop, Henriette Roland‑Holst qui fut du centre à Zimmerwald et qui est maintenant venue à nous) ; en Suède, le parti des jeunes ou des gauches [9], avec des leaders comme Lindhagen, Ture Nerman, Karlsson, Strőm, Z. Hőglund, qui prit part personnellement, à Zimmerwald, à la fondation de la « gauche zimmerwaldienne » et est actuellement condamné à la prison pour sa lutte révolutionnaire contre la guerre ; au Danemark, Trier et ses  amis, qui ont quitté le Parti  « social‑démocrate » danois,  complètement embourgeoisé, le ministre Stauning en tête ; en Bulgarie, les « Etroits [10] » ; en Italie, les plus proches sont le secrétaire du parti Constantin Lazzari et Serrati, rédacteur en chef de l'organe central Avanti ! [11] ; en Pologne, Radek, Hanecki et les autres leaders social‑démocrates groupés autour du « Bureau national [12] » ; Rosa Luxembourg, Tyszka et les autres leaders social‑démocrates groupés autour du « Bureau général »; en Suisse, les gauches qui ont rédigé les considérants du « référendum » (janvier 1917) pour la lutte contre les social‑chauvins et le « centre » de leur propre pays et qui ont présenté au congrès socialiste du canton de Zürich, tenu le 11 février 1917 à Toess, une résolution inspirée des principes révolutionnaires et dirigée contre la guerre ; en Autriche, les jeunes amis de gauche de Friedrich Adler, qui ont milité dans une certaine mesure à Vienne au club « Karl Marx », aujourd'hui fermé par le gouvernement ultra‑réactionnaire d'Autriche, qui voue à la mort Friedrich Adler pour le coup de revolver héroïque, quoique irréfléchi, qu'il a tiré sur un ministre, etc., etc.

Peu importent les nuances qui peuvent exister entre les gauches. L'essentiel, c'est la tendance générale. Le fait est qu'il n'est pas facile d'être véritablement internationaliste en cette époque terrible de guerre impérialiste. Ces hommes ne sont pas nombreux, mais eux seuls sont l'avenir du socialisme, eux seuls sont les guides des masses et non leurs corrupteurs.

La distinction entre réformistes et révolutionnaires, parmi les social‑démocrates, parmi les socialistes en général, devait nécessairement se modifier dans les conditions de la guerre impérialiste. Quiconque se contente d'« exiger » des gouvernements bourgeois qu'ils signent la paix ou « manifestent la volonté de paix des peuples », etc., glisse en fait vers le réformisme. Car, objectivement, le problème de la guerre ne se pose que sur le plan révolutionnaire.

Pour sortir de la guerre et conclure une paix démocratique, non imposée par la violence ; pour affranchir les peuples de la servitude des intérêts, se chiffrant par milliards, à verser à messieurs les capitalistes qui se sont enrichis « du fait de la guerre », il n'est d'autre issue que la révolution prolétarienne.

On peut et on doit exiger des gouvernements bourgeois les réformes les plus diverses ; mais on ne peut, à moins d’être un songe‑creux, un réformiste, exiger de ces hommes et de ces classes, attachés par des milliers de liens au capital impérialiste, qu'ils rompent ces liens. Or, sans cette rupture, tous les propos sur la guerre à la guerre ne sont que phrases vides et trompeuses.

Les « kautskistes », le « centre » sont des révolutionnaires en paroles, des réformistes en fait ; des internationalistes en paroles, des complices du social‑chauvinisme en fait.


Notes

[1]. « Communauté ouvrière ou du Travail » ‑ « Arbeits Gemeinschaft » (« Groupe social‑démocrate du Travail ») – organisation des centristes allemands, formée en mars 1916 par des députés au Reichstag qui s'étaient séparés du groupe social‑démocrate officiel. Ils formèrent en 1917 le noyau du Parti social‑démocrate indépendant d'Allemagne, parti centriste qui se prononçait pour le maintien de l'unité avec les social‑chauvins.

[2]. Minoritaires, ou longuettistes : tendance minoritaire qui se constitua au sein du Parti socialiste français en 1915. Ses tenants (partisans de Jean Longuet) défendaient des conceptions centristes et pratiquaient une politique de conciliation à l'égard des social‑chauvins. Jusqu'à la fin de la première guerre mondiale, les longuettistes gardèrent une position social‑pacifiste.
Après la victoire de la Révolution d'Octobre, ils se déclarèrent partisans de la dictature du prolétariat, ce que leurs actes démentirent. Ils poursuivirent une politique de conciliation à l'égard des social‑chauvins et approuvèrent la paix de brigandage conclue à Versailles. Restés en minorité au Congrès du Parti socialiste français, qui se tint à Tours en décembre 1920 et où la victoire fut remportée par l'aile gauche, les longuettistes quittèrent le parti en même temps que les réformistes avérés et adhérèrent à l'Internationale dite deux et demie; puis, après la désagrégation de cette dernière, réintégrèrent la II° Internationale.

[3]. Parti socialiste britannique [British Socialist Party], fut fondé en 1911 à Manchester, à la suite de la fusion du Parti social‑démocrate avec d'autres groupes socialistes. Le B.S.P. faisait sa propagande dans un esprit marxiste et était un parti « non opportuniste, réellement indépendant des libéraux » (Lénine, Œuvres, Paris‑Moscou, t. 19, p. 288). Le petit nombre de ses adhérents et son manque de liaison avec les masses lui conféraient cependant un certain caractère sectaire. Pendant la première guerre mondiale, au sein du parti se déroula une lutte aiguë entre la tendance internationaliste (W. Gallacher, A. Inkpin,  D. MacLean, F. Rothstein, etc.) et la tendance social‑chauvine avec Hyndman à sa tête. La tendance internationaliste comptait des éléments hésitants qui adoptèrent une position centriste, sur un certain nombre de questions. En février 1916, un groupe du B.S.P. fonda le journal The Call, qui devait contribuer grandement au regroupement des internationalistes. La conférence annuelle du B.S.P., qui se tint à Salford en avril 1916, condamna la position social‑chauvine de Hyndman et de ses partisans, qui quittèrent alors le parti.
Le parti socialiste britannique accueillit favorablement la Grande Révolution socialiste d'Octobre. Ses membres jouèrent un rôle important dans le mouvement des travailleurs anglais pour la défense de la Russie soviétique contre l'intervention étrangère. En 1919, 98 organisations locales du parti contre 4 se prononcèrent pour l'adhésion à l'Internationale communiste. Le B.S.P. ainsi que le groupe d'unité communiste jouèrent le rôle principal dans la fondation du Parti communiste de Grande‑Bretagne. Au premier Congrès d'unification de 1920, l'immense majorité des organisations locales du B.S.P. adhérèrent au Parti communiste.

[4]. La gauche de Zimmerwald fut constituée sur l'initiative de Lénine à la Conférence socialiste internationale de Zimmerwald en septembre 1915. Elle comprenait les représentants du C.C. du P.O.S.D.R., des social‑démocrates de gauche de Suède, de Norvège, de Suisse, d'Allemagne, de l'opposition s.‑d. polonaise et des s.‑d. de Lettonie. La gauche de Zimmerwald, dirigée par Lénine, lutta contre la majorité centriste de la Conférence et proposa les projets de résolutions où l'on condamnait la guerre impérialiste, démasquait la trahison des social‑chauvins et insistait sur la nécessité de lutter énergiquement contre la guerre. Ces projets de résolutions furent déclinés par la majorité centriste de la conférence. Cependant, la gauche de Zimmerwald réussit à faire inclure dans le Manifeste – rédigé par Trotsky et adopté par la Conférence- plusieurs thèses très importantes de son projet. Considérant le Manifeste comme un premier pas dans la lutte contre la guerre impérialiste, la gauche de Zimmerwald vota pour son adoption. Elle souligna toutefois dans une déclaration à part l'insuffisance et le manque de fermeté de ce document et y exposa les motifs qui l'avaient poussée à voter pour lui. La gauche de Zimmerwald fit connaître que tout en restant au sein du rassemblement de Zimmerwald, elle propagerait ses vues et mènerait une action autonome à l'échelle internationale. Elle élit un organisme de direction ou Bureau qui comprenait Lénine, Zinoviev, et Radek. La gauche de Zimmerwald éditait en allemand sa propre revue Vorbote (Le Précurseur) qui publia plusieurs articles de Lénine.
Au sein de la gauche de Zimmerwald, les bolchéviks, qui en constituaient le noyau, étaient seuls à occuper une position résolument internationaliste. Lénine combattit les flottements de Radek, critiqua les erreurs de certains autres éléments de gauche. La gauche de Zimmerwald servit de centre de ralliement aux éléments internationalistes de la social‑démocratie mondiale. A la deuxième Conférence socialiste internationale, qui se tint à Kienthal en avril 1916, la gauche de Zimmerwald groupait 12 des 43 délégués. Ses thèses sur certaines questions furent même soutenues par près de la moitié des délégués. Certains social‑démocrates adhérant à la gauche de Zimmerwald menaient une action révolutionnaire importante dans leurs pays respectifs et y jouèrent un rôle considérable dans la création de partis communistes.
Au sujet de la gauche de Zimmerwald voir les écrits de Lénine : « Un premier pas », « Les marxistes révolutionnaires à la conférence socialiste internationale (5‑8 septembre 1915) » (Œuvres, Paris‑Moscou, t. 21, pp. 397‑404).

[5]. Le groupe de l'Internationale, qui prit plus tard le nom de « Groupe Spartacus », fut formé par les social‑démocrates de gauche allemands K. Liebknecht, R. Luxembourg, F. Mehring, C. Zetkin et d'autres encore, au début de la première guerre mondiale. Le groupe de l'Internationale joua un rôle positif important dans l'histoire du mouvement ouvrier d'Allemagne. En janvier 1916, à la conférence des social‑démocrates de gauche de toute l'Allemagne, le groupe adopta les thèses rédigées et proposées par R. Luxembourg sur les objectifs de la social‑démocratie internationale. Le groupe mena parmi les masses une propagande révolutionnaire contre la guerre impérialiste, dénonçant la politique de conquête de l'impérialisme allemand et la trahison des chefs social‑démocrates. Mais il n'arriva pas à se débarrasser de graves erreurs sur des questions importantes de théorie et de politique : il rejetait le principe de libre disposition des nations dans sa conception marxiste (c'est‑à‑dire incluant la séparation et la formation d'Etats indépendants), niait la possibilité de guerres de libération nationale à l'époque de l'impérialisme, sous‑estimait le rôle du parti révolutionnaire, etc. Lénine critiqua les erreurs de la gauche allemande dans ses travaux : « A propos de la brochure de Junius », « Le programme militaire de la révolution prolétarienne », etc. (Œuvres, Paris‑Moscou, tt. 22 et 23). En 1917, le groupe de l'Internationale adhéra au Parti social‑démocrate indépendant d'Allemagne, de tendance centriste, tout en y conservant son autonomie en matière d'organisation. Après la révolution de novembre 1918 en Allemagne, il rompit avec les « indépendants » et fonda en décembre de la même année le Parti communiste allemand.

[6]. Le Parti ouvrier socialiste d'Amérique fut créé en 1876, au Congrès d'unification qui se tint à Philadelphie, par la fusion des sections américaines de la I° Internationale avec d'autres organisations socialistes. Le congrès se déroula sous la direction de F. Sorge, compagnon d'armes de Marx et d'Engels. L'immense majorité du parti fut constituée par des immigrés faiblement liés aux ouvriers de souche américaine. Les lassalliens, qui commettaient des erreurs de caractère dogmatique et sectaire, occuperont les premières années une position prépondérante dans le parti. Certains de ses dirigeants considéraient comme la tâche principale l'action parlementaire et sous‑estimaient l'importance de la direction de la lutte économique des masses, les autres penchaient vers le trade‑unionisme et l'anarchisme. Les flottements idéologiques et tactiques de la direction aboutirent à l'affaiblissement du parti. Plusieurs groupes le quittèrent. Marx et Engels critiquaient violemment la tactique sectaire des socialistes américains.
Vers les années 90, l'aile gauche accéda à la direction du parti ouvrier socialiste, avec à sa tête D. De Léon. Elle commettait cependant elle aussi des erreurs de caractère anarcho‑syndicaliste. Le P.O.S. rejetait la lutte de la classe ouvrière pour les revendications partielles, l'action au sein des syndicats réformistes et ses contacts, déjà peu étroits, avec le mouvement ouvrier de masse ne cessèrent de se relâcher. Pendant la première guerre mondiale de 1914‑1918, il pencha vers l'internationalisme. Sous l'influence de la Révolution d'Octobre, la fraction la plus révolutionnaire du P.O.S. participa activement à la constitution du Parti communiste d'Amérique.

[7]. Le Parti socialiste d'Amérique fut constitué en juillet 1901 au congrès d'Indianapolis à la suite de la fusion de groupes qui avaient quitté le Parti ouvrier socialiste et le Parti social‑démocrate des U.S.A., dont un des fondateurs avait été Eugène Debs, un des leaders les plus populaires du mouvement ouvrier aux Etats‑Unis. Ce dernier figurait également parmi les organisateurs du nouveau parti. La composition sociale du parti était hétérogène et comprenait des ouvriers américains, des ouvriers ­immigrés ainsi que des petits fermiers et des représentants de la petite bourgeoisie. La direction centriste et opportuniste de droite du parti (Victor L. Berger, M. Hillquit, etc.) niait la nécessité de la dictature du prolétariat, rejetait les méthodes révolutionnaires de lutte et donnait dans l'électoralisme. Pendant la première guerre mondiale, le Parti socialiste se divisa en trois courants : les social‑chauvins, qui soutenaient la politique impérialiste de gouvernement, les centristes, qui n'étaient contre la guerre qu'on paroles, et la minorité révolutionnaire, qui adoptait une position internationaliste et luttait contre la guerre.
L'aile gauche du Parti socialiste, avec Ch. Ruthenberg, W. Foster, W. Haywood, etc., luttait contre la direction opportuniste du parti, pour l'action politique autonome du prolétariat, pour la création de syndicats par branche d'industrie s'inspirant des principes de la lutte de classe. En 1919, le P.S.A. se scinda. L'aile gauche quitta le parti et prit l'initiative de créer le Parti communiste des U.S.A. dont elle constitua le noyau.

[8]. Les Tribunistes : membres du Parti social‑démocrate hollandais dont l'organe était le journal De Tribune. Les leaders des tribunistes furent D. Wijnkoop, G. Horter, A. Pannekoek, G. Roland‑Holst. Les tribunistes représentaient l'aile gauche du mouvement ouvrier en Hollande et adoptèrent, pendant la guerre de 1914‑1918, une position essentiellement internationaliste.
En 1918, les tribunistes formèrent le Parti communiste de Hollande.
Le journal De Tribune avait été fondé en 1907 par l'aile gauche du Parti ouvrier social‑démocrate de Hollande. Dès 1909, après l'exclusion des éléments de gauche du parti et la constitution par ceux‑ci du Parti social‑démocrate de Hollande, De Tribune devint l'organe de ce dernier. Après 1918, il passa au Parti communiste dé Hollande et parut sous ce titre jusqu'en 1940.

[9]. Lénine appelait parti des jeunes ou des gauches le courant de gauche au sein de la social‑démocratie suédoise. Pendant la guerre impérialiste mondiale, les « jeunes » adoptèrent une position internationaliste et adhérèrent à la gauche de Zimmerwald. En mai 1917, ils formèrent le Parti social‑démocrate suédois de gauche. En 1919, le Congrès de ce parti décida d'adhérer à l'Internationale communiste. En 1921, l'aile révolutionnaire du parti constitua le Parti communiste de Suède.

[10]. Les Etroits  : Parti ouvrier social‑démocrate révolutionnaire de Bulgarie, constitué en 1903, après la scission du Parti social-démocrate. Le fondateur et le chef des « étroits » fut D. Blagoïev, dont les disciples, Kh. Rakovsky, G. Dimitrov, V. Kolarov, etc., prirent par la suite la direction du parti. En 1914‑1918, les « étroits » prirent position contre la guerre impérialiste. En 1919, ils adhérèrent à l'Internationale communiste et formèrent le Parti communiste de Bulgarie.

[11]. « Avanti ! » [En Avant !], quotidien, organe central du Parti socialiste italien fondé en décembre 1896 à Rome. Pendant la guerre impérialiste mondiale, le journal adopta une position internationaliste peu conséquente, sans rompre les liens avec les réformistes. En 1926, le journal fat interdit par le gouvernement fasciste de Mussolini, mais reparut par intermittence à l'étranger. Sa publication fut reprise en Italie en 1943. Il a été ensuite l'organe central du Parti socialiste italien.

[12]. Le Bureau national et le Bureau général, organismes dirigeants de la social‑démocratie du Royaume de Pologne et de la Lituanie.


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